
Internes, Padhue… Un avocat dénonce les dérives de l'exercice médical par délégation à l’hôpital
Les internes et les praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) exercent en théorie sous la supervision de médecins de plein exercice. Mais la pratique est bien différente. Contraints par le manque de personnel médical, ces praticiens sont incités – voire forcés – à agir en totale autonomie, au mépris des règles et de leur sécurité juridique. Cumulé à un non-respect chronique des temps de travail, l’abandon des internes et des Padhue doit conduire à repenser en toute urgence les modalités de l’encadrement des praticiens en formation dans les hôpitaux, appelle Me Léonard Balme Leygues, avocat à la Cour, associé de Grapho Avocats, dans une tribune que nous publions sur Egora.

L’exercice par délégation : une autonomie nécessairement restreinte
Les internes comme les Padhue, quel que soit le statut sous lequel ils exercent, ne disposent pas d’une pleine autonomie dans leur pratique : ce sont des praticiens en formation, qui doivent donc être encadrés dans leur pratique.
Pour les internes, c’est l’article R. 6153-3 du code de la santé publique du code de la santé publique qui pose la règle. Et en dépit d’une myriade de statuts d’exercice, la situation est identique pour les Padhue. Le principe d’un exercice par délégation est applicable aux praticiens associés, qui "exercent leurs fonctions par délégation, sous la responsabilité directe du praticien responsable de la structure dont ils relèvent ou de l’un de ses collaborateurs médecin, chirurgien, odontologiste ou pharmacien" (article R. 6152-902 du code de la santé publique). Le nouveau statut "PACT" (praticien associé contractuel temporaire) reprend la même formulation (article R.6152-935 du code de la santé publique).
Les stagiaires associés exercent aussi par délégation et sous la responsabilité du praticien dont ils relèvent, par référence aux dispositions applicables aux internes (article 2 de l’arrêté du 16 mai 2011 relatif aux stagiaires associés).
Même situation pour les faisant fonction d’interne, l’article R. 6153-44 du code de la santé publique rappelant qu’ils sont soumis aux dispositions de l’article R. 6153-3 du code de la santé publique applicable aux internes.
En définitive, exerçant sous l’un ou l’autre de ces statuts, les Padhue sont assimilables à des internes. Tous ont une autonomie encore moindre que les docteurs juniors, qui exercent pour l’essentiel sous le régime de l’"autonomie supervisée" (article R. 6153-1-2 du code de la santé publique).
C’est ce qu’ont rappelé très explicitement les instructions DGOS des 12 février 2024 et du 31 janvier 2025 lorsqu’elles évoquaient l’obligation d’un "encadrement renforcé [des Padhue] par les praticiens titulaires de plein exercice et d’un exercice médical collégial". De même, l’interne doit "y compris pendant le service de gardes et astreintes, pouvoir faire appel à tout moment à un praticien sénior" (Circulaire interministérielle no DGOS/RH4/DEGSIP/A1-4/2016/167 du 26 mai 2016).
Qu’est-ce qu’un exercice de la médecine "par délégation" ?
Selon le Conseil d’État, l’exercice par délégation suppose que tout acte médical soit exercé en priorité par les médecins superviseurs qui "ne peuvent régulièrement se décharger sur leurs internes de l’obligation qu’il incombe à ces praticiens d’accomplir personnellement les actes médicaux requis par l’état des malades que lorsqu’une telle délégation n’est pas exclue par la gravité de l’acte et qu’ils se sont, en outre, assurés au préalable dans chaque cas et sous leurs responsabilité que l’autorisation exceptionnelle ainsi donnée à leurs collaborateurs n’est susceptible de porter aucune atteinte aux garanties médicales que les malades sont en droit d’attendre d’un service hospitalier public" (CE, 4 octobre 1968, n° 71582, aux tables ; CE, 23 février 1977, n° 00751 ; CE, 5 mai 1995, n° 133237).
Par conséquent, commet une faute de négligence et d’imprudence le médecin "formateur" qui délègue à un médecin en formation un acte médical critique (Cass. Crim., 29 octobre 2013, pourvoi n° 12-86233). Suivant la même logique, le défaut d’intervention d’un médecin en formation face à un cas complexe ne peut conduire à sa condamnation sans qu’il ne soit recherché si le chef de service ne devait pas lui-même décider de l’acte chirurgical à effectuer (Cass. Crim., 3 mai 2006, pourvoi n° 05-82591). Et commet une faute disciplinaire le médecin encadrant qui confie une opération chirurgicale (pose de prothèse de hanche) à un Padhue "dont les interventions doivent être réalisées sous la supervision d’un senior, assisté d’un aide opératoire qui n’était plus agent au sein du centre hospitalier", donne son accord afin que débute l’opération hors sa présence et "ne s’est pas rendu dans le bloc opératoire au cours de l’intervention", quand bien même il aurait été "joignable et présent dans son bureau situé à proximité du bloc opératoire", ce qui ne saurait suffire à estimer "qu’il a supervisé l’intervention en litige" (TA Grenoble, 1er avril 2025, n° 2205939).
Le danger de l’exercice illégal de la médecine
D’une manière générale, le risque le plus grave qui pèse sur le médecin en formation (Padhue, interne), mais également sur son chef de service et la direction de l’hôpital est celui de l’exercice illégal de la médecine. Une circulaire du 7 mars 2012 relative aux conditions d’accueil et de recrutement des stagiaires associés relevait en ce sens que "le non-respect des dispositions législatives et réglementaires relatives au statut du stagiaire associé peut entraîner la mise en œuvre de la responsabilité civile tant du stagiaire lui-même que du chef d’établissement, en application du code de la santé publique qui définit à plusieurs reprises l’exercice illégal de la médecine".
Il est évidemment question de la méconnaissance de l’exercice par délégation, mais aussi de l’exercice sans autorisation : tel est le cas de ce médecin urgentiste, exerçant sans autorisation, embauché au centre hospitalier de Fourmies, à qui l’on reprochait une erreur de diagnostic qui aurait coûté la vie à une patiente. Relaxé du chef d’homicide involontaire, il a été reconnu coupable d’exercice illégal de la profession. Le centre hospitalier a été condamné pour complicité d’exercice illégal. Le centre hospitalier a-t-il eu le choix d’embaucher ce médecin ? Existait il pour lui une alternative, risquait on la fermeture du service ?
Il ne s’agit pas d’une exception. L’exercice sans autorisation, en totale autonomie, sous des statuts illégaux ou qui n’existent plus sont des pratiques courantes.
Pire encore, c’est une pratique organisée par l’État. Pour preuve, du fait de son incapacité récurrente à anticiper ces situations, des centaines (ou peut-être même des milliers ?) de Padhue se sont retrouvés du jour au lendemain privés d’autorisation temporaire d’exercer la médecine à la date de publication des résultats des épreuves de vérification des connaissances, le 31 janvier 2025.
Le même jour – comble de l’impréparation – une instruction ministérielle relevait qu' "au regard de la réglementation actuelle, les praticiens ayant échoué au concours des épreuves de vérification des connaissances (EVC) au titre de la session 2024 ne sont plus en mesure de pouvoir exercer. Pourtant, ils sont indispensables à notre offre de soins". Ces professionnels peuvent certes prétendre au nouveau statut PACT mais "la constitution des commissions d’autorisation et l’instruction des dossiers nécessite un délai durant lequel les professionnels ayant échoué aux EVC ne pourraient plus être en mesure d’exercer". C’est pourquoi "dans l’attente de la mise en œuvre opérationnelle du décret précité, le Ministère du travail, de la santé, des solidarités et des familles invite les agences régionales de santé (ARS) à délivrer à titre dérogatoire une attestation temporaire d’exercice" à ces praticiens.
Il faudra donc plusieurs semaines, voire plusieurs mois, à ces praticiens en poste pour se voir délivrer ces autorisations. Pendant ce temps, ils ont exercé dans les hôpitaux, ce que le ministère savait puisqu’ils sont "indispensables à notre offre de soins". Pourquoi le ministère de la santé n’a-t-il rien fait pour anticiper cette situation plus que prévisible puisqu’elle s’était déjà produite dans une configuration strictement identique l’an dernier ?
Cette situation démontre que l’exercice illégal de la médecine est une pratique assumée par l’administration, qui n’en mesure visiblement pas les risques. On souhaiterait un sursaut massif des directions hospitalières, sur lesquelles pèsent un risque pénal majeur.
Quant à l’absence d’exercice par délégation, c’est une réalité concrète quotidiennement constatée, qui n’émeut visiblement pas davantage l’administration centrale et celles des hôpitaux.
Dans cet hôpital, près de 45% des effectifs médicaux ne sont pas inscrits à l'Ordre
Un exemple permet de se rendre compte concrètement de l’impossibilité matérielle de mettre les médecins en formation en mesure d’exercer sous la supervision d’un médecin de plein exercice. La Chambre régionale des comptes Centre-Val-de-Loire a publié en décembre 2024 un rapport sur le centre hospitalier de l’agglomération montargeoise (Cham).
Ce rapport relève que, comme tant d’autres, "l’établissement est […] confronté à des difficultés pour attirer du personnel médical (PM) en son sein". La solution ? "Près de 45 % de ses effectifs médicaux ne sont pas inscrits à l’Ordre des médecins et une part importante de son personnel médical est composé de praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue)". Le rapport précise qu’ "en effet, le CHAM recrute principalement des stagiaires associés, des praticiens associés ou des praticiens contractuels. Ce choix historique fait par l’établissement est destiné à limiter le recours à des recrutement temporaires [car] le recours à des praticiens contractuels ou à des Padhue représente un coût plus limité pour l’établissement dans la mesure où les grilles salariales qui leurs sont applicables, sont moins élevées". Le rapport observe que "ces médecins doivent être encadrés par des professionnels seniors", sans examiner si tel est effectivement le cas.
Ce rapport illustre à la perfection la situation de l’hôpital public : sans personnel médical captif, les services ne tournent pas. Pour remédier à la pénurie de personnel médical inscrit à l’Ordre, l’État maintient sous des statuts de formation les médecins : on prolonge d’une année l’internat de médecine générale – c’est autant de personnel en plus à l’hôpital – et on recrute à tour des bras des Padhue, notamment ceux en parcours de consolidation des compétences qui ne peuvent être réalisés, pour l’essentiel, que dans des établissements de santé publics. Ces stages sont d’ailleurs régulièrement renouvelés, permettant de garder sous le joug de l’administration un personnel de qualité à moindre coût.
Internes et Padhue permettent ainsi d’assurer la continuité du service public hospitalier tout en garantissant "une maîtrise de la masse salariale consacrée à la rémunération du personnel médical temporaire", comme le rappelle la CRC du Centre-Val-de-Loire à propos du Cham. Leur encadrement est une contrainte qui, en revanche, n’est pas examinée plus avant.
Or, pour reprendre l’exemple du Cham, comment 55 % des effectifs médicaux peuvent-ils consacrer le temps nécessaire à l’encadrement de 45 % des effectifs, alors qu’ils ont eux-mêmes des patients dont ils doivent s’occuper ? Les proportions sont peu ou prou identique "à Saint-Denis et Gonesse" (intervention de M. Romain Eskenazy, député, devant la Commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins le 18 mars dernier). Le Dr. SIFI, chef de service de gériatrie du Centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne faisait savoir le 15 février 2024 au Figaro que "dans son service, trois médecins sur cinq sont étrangers. Et je vais en recruter un quatrième".
Charge de travail insoutenable, seniorisation : la continuité des services au prix de manœuvres illégales
Le temps de travail des personnels médicaux n’est pourtant pas extensible à l’infini : outre qu’il est réglementé, il en va avant tout de leur santé et de la sécurité des patients.
Pourtant, les personnels médicaux – de plein exercice et en formation – sont appelés à pallier les absences et combler les emplois vacants de sortes que leurs heures supplémentaires et temps de travail additionnel les conduisent régulièrement à dépasser les maximums légaux (48 heures par semaine sur quatre mois ; cf. CE, 22 juin 2022, n° 446917 ; arrêté du 30 avril 2003 relatif à l'organisation et à l'indemnisation de la continuité des soins). L’exemple des internes, qui culminent à près de 60 heures de travail par semaine, est criant (voir l’enquête de l’ISNI 2023).
Et pour permettre de compenser le manque de praticiens titulaires (et la quasi-impossibilité de recourir désormais aux intérimaires), la charge de travail est reportée. Ainsi, il suffit d’examiner les tableaux de garde de presque n’importe quel hôpital pour s’apercevoir que, régulièrement, des Padhue assurent seuls les gardes, notamment profondes (de nuit), sans aucun encadrement. Le manque de personnel conduit donc à les senioriser (et donc à les autonomiser) : ils assument ainsi une charge d’encadrement… alors qu’ils exercent eux-mêmes par délégation.
Pire encore – car c’est les "pousser au crime" – la Commission nationale d’exercice, qui donne son avis sur la délivrance des autorisations d’exercice, reproche à ceux des Padhue qui exercent dans le respect de la loi – c’est-à-dire en exercice par délégation – un manque d’autonomie dans leur pratique, critique reprise sans ciller par le Centre national de gestion pour leur refuser leurs autorisations et les astreindre, une fois de plus, à la précarité d’une situation de stagiaire.
"Nos journées sont monstrueuses"
C’est ce qu’a déclaré le Dr. Wargon, chef du service d’urgence du centre hospitalier Delafontaine et Président de l’Observatoire régional des soins non programmés d’Île-de-France devant la Commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins en mars dernier. Il ajoutait, "s’agissant des Padhue, c’est bien grâce à ces médecins étrangers que j’ai réussi à remonter mon service : sans eux, les urgences de Saint-Denis seraient fermées".
Le monde médical souffre : un suicide tous les 15 jours chez les internes, 60 000 infirmiers manquent à l’appel dans les hôpitaux, plus d’un tiers des postes de praticiens hospitaliers sont vacants, plus de 40 % en psychiatrie, alors que la santé mentale est "grande cause nationale" …
Les internes et les Padhue souffrent aussi et la précarité de leur statut ne doit pas être une aubaine pour amoindrir la masse salariale des hôpitaux ou contourner les effets délétères de la Loi Rist.
Il est grand temps d’assurer au monde hospitalier un environnement de travail normal : des statuts pérennes, une rémunération digne, un encadrement conforme à la qualité de médecin en formation.
Nul n’est à l’abri du risque juridique
L’exemple doit venir d’en haut. Pour l’instant, tel n’est pas le cas : plus que du déni, l’administration cache volontairement des pratiques dangereuses. Lorsque le ministère de la santé fait signer aux chefs de service employant des Padhue une "attestation" mentionnant l’exercice de la médecine "sous la supervision d’un praticien de plein exercice qualifié dans la spécialité" et qu’il "bénéficie d’un encadrement suffisant", il est clair qu’il s’abrite "derrière une attestation d’encadrement théorique". Car pour l’essentiel, les hôpitaux n’ont pas les moyens humains d’assurer l’encadrement des praticiens en formation.
Il serait temps que le ministre de la Santé s’exprime sur les moyens qu’il compte conférer aux hôpitaux pour assurer la sécurité juridique de leurs directions, des chefs de services, des praticiens et des patients.
Car chacun doit en être conscient : le risque juridique – pénal, civil, disciplinaire – pèse sur tous. Administrations comprises.
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