"Vendredi, mon associé s'est suicidé"

12/05/2017 Par Catherine le Borgne

Pendant 18 ans, le Dr Marc Maine a été l'associé du Dr Jean Marie Bédoin, qui vient de se suicider, à  Andouillé, en Mayenne. Aujourd'hui âgé de 77 ans, en retraite très active depuis 12 ans, cet ancien conseiller ordinal aujourd'hui conseiller municipal évoque son associé et ami médecin généraliste.  Et la situation de la démographie en France, en cause dans cet acte désespéré.

  "Jean-Marie a fait un burn out pour lequel il a été hospitalisé durant six semaines en septembre-octobre 2016. Mais déjà avant, ça boitait un peu dans le manche. Après le départ d'une associée qui a travaillé avec lui pendant 7 ans, il s'était retrouvé tout seul sur un patelin de 2 500 habitants où il y a pratiquement toujours eu trois médecins depuis que je m'y suis installé, en 1969.  

"Il avait des problèmes avec les gendarmes"

  Donc, mon ami a repris son travail après son burn out, alors que l'associée était partie. Comme j'habite toujours dans le village, je voyais bien que cela n'allait pas. Les patients que je rencontrais me disaient : "votre collègue, il est pas bien", "votre collègue, il va pas bien". Très souvent. Et puis, il avait des problèmes avec les gendarmes, du fait d'une alcoolisation excessive liée au burn out. C'est souvent le cas. Il s'était fait retirer son permis de conduire et roulait en voiturette. Bon, voilà. Il s'est pendu vendredi dernier. Il faut aussi savoir que le deuxième médecin sur le bourg partira en retraite en juillet et que le Dr Bédoin allait se retrouver tout seul alors qu'il avait déjà une forte activité.  

Une concurrence presque déloyale

 

J'ai été à élu à l'ordre des médecins pendant une dizaine d'année et j'ai siégé à ce titre à l'ARS depuis sa création. Afin de centraliser les appels, mutualiser l'informatique en cas de problème sur un cabinet, on a créé un pôle santé, dans l'idée qu'il allait regrouper trois villes, Changé-les-Laval, Andouillé et La Baconnière, mais c'est insuffisant. Sur la ville de Laval, on recense 12 000 personnes sans médecin traitant. Alors les gens se déversent sur les autres localités et les médecins ne peuvent plus faire face. Je suis aussi conseiller municipal et lorsque nous avons appris le départ prochain à la retraite du collègue d'Andouillé, on s'est mis à la recherche d'un jeune pour le remplacer. J'ai contacté mon ancienne stagiaire, mais elle ne veut pas s'installer et ne veut faire que des remplacements. Nous avons reçu aussi un couple de médecins natifs de la région. Mais ils hésitent car ils peuvent obtenir jusqu'à 100 000 euros de subventions à deux s'ils s'installent dans une zone déficitaire médicale fléchée par l'ARS. Ce qui n'est pas notre cas. Alors, ils réfléchissent, mais pour nous, ces conditions représentent une concurrence presque déloyale. Depuis le suicide du Dr Bédoin, la mairie d'Andouillé essaie de trouver une solution de replâtrage temporaire avec le collègue restant.  

Cinq infirmières se sont donné la mort récemment

  On parle de plus en plus des suicides des médecins, mais les infirmières sont également touchées. Il y a eu cinq infirmières qui se sont donné la mort récemment. Mais la disparition d'un médecin crée d'énormes problèmes localement. Ici, en Mayenne, un infirmier, Maxime Lebigot a créé l'Association de citoyens contre les déserts médicaux (ACCDM) qui veut mobiliser les politiques sur la désertification médicale. Mais, à titre personnel, depuis 2004, j'ai eu l'occasion d'informer nos élus de la désertification médicale inéluctable. Le problème a même été évoqué avec Philippe Douste-Blazy, le ministre de la Santé de l'époque, qui s'était déplacé chez nous. La presse en a parlé et manifestement, cela n'a servi à rien. Mon sentiment, c'est que nous arrivons à une situation pensée et réfléchie depuis longtemps, ne serait-ce qu'à travers le numerus clausus :  3 500 étudiants en médecine avaient été autorisés à passer en 2ème année en 1993, toutes spécialités confondues, pour l'ensemble de la France. Comment voulez-vous que cela ne pose pas problème, en bout du compte ? A croire que les énarques ne savent pas ce qu'est une table démographique. Et le journal de la CARMF nous apprend, en plus, que 25 % des jeunes thésés ne s'inscrivent pas à l'Ordre des médecins. Ils n'exerceront pas. Cela pose aussi une question, non ? "  

Le suicide des médecins, un tabou qui sort enfin de l'ombre

Cinquante médecins environ se donneraient la mort chaque année et le risque de passer à l'acte pour cette population, serait 2,5 fois plus élevé que dans la population générale. Après de nombreuses initiatives privées, les pouvoirs publics ont enfin, pris conscience du problème.

Les estimations d'une cinquantaine de morts annuels par suicide parmi les médecins émanent des premières études sur le sujet, menées notamment par le Dr Yves Léopold, récemment disparu. Les travaux du généraliste d'Avignon ont stupéfait par ce qu'ils révélaient de la souffrance psychique subie par les soignants et depuis, plusieurs associations se sont crées pour venir en aide à ces confrères en détresse.

Parmi les premières, l'association du Dr Eric Galam, l'AAPML (Association d'aide professionnelle aux médecins libéraux), créée en 2004 a effectué des recherches novatrices sur le burn out. Sans doute la toute dernière : SPS (Soins aux professionnels de santé) a été lancée par le Centre national des professions de santé (CNPS). Présidée par le Dr Eric Henry (ex SML), SPS a enregistré plus de 700 appels de professionnels de santé libéraux et salariés depuis la mise en service en novembre 2016 du 805 232 336, une ligne gratuite, fonctionnant 24 h sur 24, avec des répondants psychologues qualifiés. SPS fait appel aux dons pour pouvoir poursuivra sa mission.

L'Ordre s'est aussi mobilisé sur le sujet et tout dernièrement, après un premier volet consacré à l'hôpital, Marisol Touraine a présenté le deuxième volet de sa stratégie nationale d'amélioration de la qualité de vie au travail, ciblant la médecine ambulatoire. Autre initiative, "Dis doc, t'as ton doc". Lancée à l'initiative d'un psychiatre hospitalier, elle incite les praticiens à s'inscrire auprès d'un médecin traitant.
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