"Entre confrères, on se soutient" : le dilemme d'une interne face aux "petits secrets" des médecins

"Que ce soit bien clair. En médecine, on fait des choses TRES sérieuses. Il est tout de même question de vie ou de mort! Vous comprendrez donc qu’en acceptant d’entrer dans notre club (plutôt sélect), nous vous demanderons la plus grande confidentialité.
Vous connaissez chez les médecins des pratiques qui vous surprennent peut-être, mais ne vous avisez pas d’ébruiter cela. Ce sont nos petites affaires à nous, les médecins. Nous savons très bien nous en occuper entre nous. Et nous avons une image de marque à défendre. Nous vous demanderons simplement de signer un contrat stipulant que vous ne porterez jamais atteinte à l’honneur de la profession (en ébruitant des choses par exemple) sous peine de ne plus pouvoir exercer. Donc franchement évitez… Nos petits secrets doivent rester entre docteurs respectables. Merci."
C’est ainsi que se conclut le premier entretien de Josiane au Conseil Départemental de l’Ordre des docteurs. Elle avait enfin terminé son internat et devait donc s’inscrire au tableau de l’Ordre pour pouvoir exercer comme médecin officielle.
Les petits secrets. C’était la base de toute sa formation. Cela avait commencé lorsque, jeune externe, elle faisait ses premiers pas dans les couloirs d’hôpitaux. Elle avait une soif d’apprendre mais pas grand chose à se mettre sous la dent entre les fax et les bons de radio. Lorsque docteur D. lui a proposé de faire une prise de sang spéciale au niveau d’une artère, elle s’est réjouie d’apprendre enfin un geste médical. Devant la porte 305, Dr D. lui a rapidement expliqué qu’il fallait ouvrir l’emballage et planter l’aiguille « comme ça, là ». Alors qu’elle entrouvrait la porte, il a ajouté avant de partir aussi sec: « Ne lui dit pas que tu ne l’as jamais fait. » Josiane se trouva bien mal à l’aise avec son aiguille face à Mme M. qui lui souriait et lui tendait son bras droit pour le prélèvement. Elle planta l’aiguille et rata. Du sang coulait partout. « C’est pas votre jour! » dit Mme M. tandis que Josiane se morfondait intérieurement. Elle avait menti par omission. Mme M. s’imaginait sûrement avoir affaire à une pro alors qu’elle ne savait absolument pas ce qu’elle faisait… Elle s’en voulait horriblement de ne pas l’avoir prévenue, obéissant bêtement au Dr D. En en discutant avec des collègues, tout le monde s’accordait sur le fait que c’était mieux de ne pas leur dire, car sinon ils ne laisseraient jamais les externes s’entraîner, et alors on n’apprendrait jamais.
Josiane poursuivit sa formation avec une détermination sans faille. Bonne élève, elle suivait tous les cours. Elle allait commencer son stage en pédiatrie et voulait être au top. Elle avait appris par coeur la règle d’Appert pour connaître le nombre de millilitre de lait à ingérer selon le poids et savait faire la différence entre les déficits immunitaires combinés sévères et les déficits immunitaires communs variables. Lors de sa première consultation de pédiatrie, la mère lui a demandé des conseils pour son enfant. Est-ce que c’était un problème qu’il dorme encore avec son doudou à 6 ans? Qu’est-ce qu’on peut lui donner pour qu’il vomisse moins en voiture? Pourquoi se gratte-t-il le zizi? Josiane, qui par ailleurs n’avait pas d’enfant, ne savait pas trop quoi dire… Si seulement il avait eu un déficit immunitaire commun variable, là oui. Elle lui dit qu’elle ne savait pas. Cette erreur lui vaudra une appréciation catastrophique sur sa fiche de stage. Josiane devait prendre confiance en elle et assumer son rôle de médecin en donnant des conseils sachants sortis de sa chaussette. La case « Sait endosser son rôle de médecin en prodiguant des conseils savants » n’était pas cochée. En discutant avec ses collègues, tout le monde était d’accord pour dire que c’était mieux de donner des conseils de bon sens même si l’on n’en savait rien car la plupart des gens n’avaient pas fait dix ans d’étude comme eux.
Josiane essayait de suivre le courant. Cela commençait tout de même à lui causer quelques dérangements digestifs.
En stage d’hépato-gastro-entérologie, elle se retrouve à accompagner le Dr F, ponte régional de la discipline. Elle suit ses consultations mais le troisième patient est assez véhément. Il se plaint d’avoir été mal diagnostiqué. Dr F. proteste de façon encore plus véhémente, défendant toute sa prise en charge. Le patient fini par abandonner la lutte et repart avec son compte rendu. Une fois la porte close, Dr F. avoue à Josiane en riant qu’il y a en effet eu un retard diagnostic: on pouvait diagnostiquer la maladie sur les premiers examens mais le radiologue l’avait loupé, mais on ne lui dira pas cela, ah non. Entre confrères, on se soutient tout de même. Les intestins de Josiane se firent entendre et elle dut filer par la petite porte.
Josiane réussit brillamment son concours d’internat et parvint à accéder à la spécialité qu’elle convoitait: la chirurgie viscérale. Lors de ses premiers jours comme interne des hôpitaux, elle se retrouve catapultée en première ligne: c’est elle la chirurgienne désormais. Le téléphone dans sa poche se met à sonner frénétiquement: on a besoin de son avis spécialisé aux urgences. Mais Josiane n’a jamais exercé comme médecin et endosse le titre de chirurgienne depuis 48h. Lorsqu’elle entre dans la chambre du patient, un autre interne débutant l’attend et annonce à la femme: « Voilà la chirurgienne ». L’estomac de Josiane panique. Elle bredouille n’importe quoi et ressort de la chambre en cherchant désespérément la chirurgienne senior pour savoir quoi faire. Cela lui vaudra...
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