Les étudiants ne sont pas les bienvenus.

Etudiants en médecine français partis à l'étranger : "On n'est plus les bienvenus"

A l'origine d'une proposition de loi visant à augmenter le nombre de médecins en France, le député LR Yannick Neuder a organisé un colloque mardi 4 juin sur la fuite des étudiants en santé à l'étranger. Plusieurs de ces jeunes, désormais carabins en Roumanie ou en Belgique, ont témoigné des raisons qui les ont poussés à partir et des difficultés qu'ils rencontrent pour revenir exercer en France. 

06/06/2024 Par Chloé Subileau
Vie étudiante
Les étudiants ne sont pas les bienvenus.

"En France, je n'ai pas eu médecine à 0,04 point après les oraux [en Pass, NDLR]. Je n'ai pas voulu faire le système LAS, donc j'ai décidé de partir à l'université de Cluj-Napoca pour continuer mes études", raconte Mathis, désormais en première année de médecine en Roumanie. A l'occasion d'un colloque sur la fuite des étudiants en santé organisé mardi 4 juin par le député LR Yannick Neuder, le jeune homme a expliqué les raisons qui l'ont mené à quitter l'Hexagone. Mais si la formation roumaine est d'après lui très satisfaisante, le carabin aimerait "vraiment revenir en France", a-t-il confié, devant une poignée de députés.

Un sentiment partagé par d'autres étudiants, présents ce mardi à l'Assemblée nationale. Comme Chloé, étudiante en deuxième année de médecine en Roumanie, jointe par visioconférence. "L'éloignement de notre famille, de nos amis et l'aspect financier, car je dois financer mes études … Ce sont des raisons pour lesquelles j'aimerais revenir en France", a avancé l'Auvergnate d'origine, qui rêve de devenir généraliste en milieu rural.

Pour aider ces carabins, le député Yannick Neuder, cardiologue de profession, a déposé fin 2023 une proposition de loi visant à réintégrer les étudiants français partis se former à la médecine à l'étranger. Chaque année, plusieurs centaines de jeunes – refoulés des facs de médecine françaises – tentent leur chance dans d'autres pays européens comme en Roumanie, en Belgique ou en Allemagne. Un non-sens pour l'élu LR, qui souhaite leur retour en France. Alors que le système de santé hexagonal manque cruellement de bras, le député alerte sur la situation de ces jeunes, qui peinent à revenir exercer dans leur pays d'origine. 

"On nous fait ressentir un sentiment de culpabilité"

Ces aspirant-médecins estiment, en effet, ne pas être les bienvenus sur le territoire français. "Comme la majorité des étudiants qui s’expatrient, mon but était de revenir", a expliqué Camil, interne en neurochirurgie à Lausanne (Suisse), qui a réalisé son externat à l'université de Iasi en Roumanie. "Malheureusement, au fur et à mesure des années, on se rend vite compte que ce retour sera très difficile. Dès que l’on part, le système français nous montre que l’on n'est plus les bienvenus et que nous avons décidé de choisir 'la facilité' ou de payer notre diplôme", a-t-il poursuivi, assurant pourtant avoir reçu "une très bonne formation". "On nous fait ressentir un sentiment de culpabilité, un sentiment de rejet qui se construit pendant le parcours."

Cette situation est d'autant plus aberrante pour le député Yannick Neuder que "l'on voit d’autres pays faire des propositions aux étudiants français qui étudient en France, mais aussi à ceux qui étudient à l’étranger, ce qui fait que [leur] retour en France n’est plus du tout une évidence", a avancé l'élu.

Selon le député, les départs d'étudiants à l'étranger se sont accentués depuis la mise en place de la réforme de la Paces en 2020. Celle-ci a instauré deux nouvelles – et uniques – voies d'accès aux études de médecine en France : les Pass et les LAS*. Le redoublement est devenu impossible, mais ceux qui se rêvent médecins peuvent – s'ils n'intègrent pas médecine à l'issue de leur Pass ou première année de LAS (LAS 1) – intégrer une LAS 2 sous conditions. Cette réforme a également mis fin au numerus clausus au profit du numerus apertus.

La proposition de loi portée par Yannick Neuder prévoit de supprimer ce nouveau numerus, en faisant primer les besoins de santé du territoire sur le critère des capacités de formation des facultés dans la fixation du nombre d'admis en deuxième année de médecine. Le texte prévoit également que soient octroyés davantage "de moyens aux universités", a rappelé le député, sous les yeux des étudiants présents.

"Ce sont nos jeunes sur les territoires qui partent"

Un objectif salué par Emmanuel d'Astorg, président du collectif de parents d'élèves "Pass/LAS". "Cette réforme du système a fait qu’aujourd'hui un nombre massif d’étudiants sont partis. Ce système, sous prétexte de sortir de 'la boucherie de la Paces', a créé pire", estime-t-il. Et, si "cette réforme avait un objectif majeur, celui de vouloir en finir avec les déserts médicaux", rien n'a changé, a-t-il ajouté.

Craignant que cette fuite de futurs médecins à l'étranger renforce, un peu plus, le déficit de médecins dans les territoires, Gilles Noël, vice-président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), a également tenu à prendre la parole. "Ce sont nos jeunes sur [ces] territoires qui vont à l'étranger", s'est inquiété l'édile. Cette situation a poussé l'AMRF à mener une étude en 2023, financée par la Banque des territoires, sur ce phénomène.

Selon les résultats de cette enquête – réalisée auprès de 286 étudiants français partis en Roumanie -, plus de 54% d'entre eux envisagent de s'installer en France à la fin de leurs études ; 33,1% hésitent encore. Toutefois, très peu de ces apprentis médecins indiquent avoir déjà été approchés par des collectivités ou "acteurs de la santé" français dans la perspective d'une installation en France. Une solution qui pourrait pourtant les encourager à revenir y exercer, assure Gilles Noël.

Adoptée début décembre en première lecture à l'Assemblée nationale, la proposition de loi du député Yannick Neuder doit désormais passer devant le Sénat. Un examen qui devrait intervenir à "l'automne", a affirmé l'élu isérois.

*Parcours d'accès spécifique santé (Pass) ; Licence accès santé (LAS).

12 commentaires
4 débatteurs en ligne4 en ligne
Photo de profil de Remi Baudin
20 points
il y a 6 mois
Depuis 2015 je me suis investi auprès des étudiants de Cluj, j'avais créé une Association Dr Margaux suite à la vague de suicides qui a frappé ma fille ainsi que d'autres jeunes carabins à Cluj en 2015. La principale raison étant la non possibilité de retour des externes de Cluj et Iasi en France. La situation ne s'améliore pas alors que ces jeunes dont de mieux en mieux formés, le système éducatif Français est bon mais ce n'est pas le seul en Europe, la preuve étant que des étudiants de toute l'Europe viennent faire Médecine, vétérinaire, dentiste à Cluj et Iasi. On n'achète pas son diplôme en allant à l'étranger on trouve un moyen de réussir, les concours tuent nos enfants il faut leur donner une seconde chance. Pourquoi les hôpitaux acceptent-ils des médecins étrangers et laissent nos enfants Français à leurs portes. Nous avons et aurons besoin de jeunes médecins généralistes !
Photo de profil de Jean-Stéphane Houot
367 points
Débatteur Passionné
Psychiatrie
il y a 6 mois
dans le milieu médical, il ya les bons et les autres, "de mon temps" il y avait les "vrais" internes et les autres ... Le numerus Clausus était bien serré et au TV journal de 20h 00 , les gars en blouse blanche demandaient à serrer la vis... ( sombre crétin !) au nom de "l'excellence française" et de ses spécificités désormais on voit le résultat.... et je paie la retraite du cretin qui ne voulait pas de moi. Belle confraternité intergénérationnelle !!! je voulais faire chirurgie mais pas possible... Les CES avaient sauté ( pas sur Kolwezi mais presque) Aujourd'hui , des jeunes partent loin et se voient dénigrés d'êtres pas passés par la fac ( de France monsieur !) ce ne sont pas de "vrais" médecins.... mais on veut quoi exactement ? le maintien des privilèges et des rentes de certains (parce ce qu'il le valent bien et de droit divin) ou soigner la population ? J'ai failli partir au Canada... ou en Belgique.... pour mes rêves je ne regrette pas d'être resté en France mais le système d'enseignement médical n'a toujours pas d'éthique ni d'ampleur de vue, on devrait avoir des albatros ..., au mieux on a des pigeons (bons pères de famille) , au pire des passereaux (paresseux ?) agités et disperses, gardiens forcenés de leur petit jardin riquiqui. Au Canada , une fois passés les examens d'équivalence, vous êtes intégré dans el système des autres étudiant et médecins canadiens, en France , vous serez toujours le bougnoul de service, le tirailleur sénégalais ou marocain, mal payé et considéré, Pourtant , il y a pas de mal de médecins étrangers qui font tourner le CH de province "périphérique". Au-delà j'entrevois aussi le mépris social de la capitale nationale ou régionale pour les "territoires"... au delà des fortif' faudrait pas qu'il y ait des allochtones au sein des beaux quartiers, non mais...cela ferait baisser le prix de la clientele ou du loyer de reprise.
Photo de profil de Bruno Goulesque
1,2 k points
Débatteur Renommé
Médecins (CNOM)
il y a 6 mois
Le gros problème pour ces jeunes partis faire leurs six années d'étude à l'étranger, qui souhaiteraient revenir en France, est le concours des ECN, car n'ayant pas les mêmes facilités d'accès que leurs collègues de France, leur classement est moins bon et donc les choix qui en découlent moins attractifs. Effectivement les Landers allemands abordent ces jeunes lors de leur 6° année pour leur proposer des cursus complets de spécialité de leur choix dans différents hôpitaux, les ECN n'existant pas là bas, ce sont les jeunes médecins qui demarchent leurs postes. Une formation linguistique leur est proposée sur 3 mois pour maîtriser la langue. Mon ainé est franco allemand, a fait sa fac à Cluj, et hésitait entre la France et l'Allemagne pour sa spécialité, deux systèmes qu'il avait testé lors de stages estivaux. Il est actuellement interne en anesthésie réa sur Berlin, pour les 6 années à venir ( deux ans rea, 4 ans d'anesthesie). De plus le salaire de 5000 euro brut hors garde, pour 42 heures par semaine, est plus attractifs que celui de ses collègues français. Et enfin il n'a plus le statut d'étudiant, qui peut avoir un effet infantilisant quelques fois, mais de salarié à part entière, ce qui renforce le sentiment de reconnaissance et de responsabilité. Posons nous vraiment la question de la pertinence des ECN?
 
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