"On ne peut pas soigner en faisant du prosélytisme" : comment le Dr Pelloux compte s’attaquer à la radicalisation à l’hôpital

Egora.fr : Votre rapport est paru au début du mois, il était initialement prévu pour fin 2021 afin d’éviter une publication en pleine campagne présidentielle. Pourquoi avoir attendu ?
Patrick Pelloux : Il y a eu le Covid et le rapport a pris du temps. C’est une période compliquée politiquement, je ne voulais pas que les réflexions que tout cela engendre soient polluées par le débat politique, notamment celui des extrêmes.
En préambule, vous évoquez un "devoir citoyen". Qu’entendez-vous par-là ?
Oui. À mon avis, au sujet de la montée du radicalisme, notamment du radicalisme islamiste, on n’a pas été au bout des choses. On n’a pas été vaillants et on a laissé trop faire. C’est là où je place l’engagement citoyen. Demandons-nous ce qu’est une société ? C’est une harmonie qui repose sur le respect du droit, le respect des autres, des libertés, de tout un chacun. En France, c’est la laïcité qui permet la liberté. Il y a plein de secteurs dans lesquels le débat a eu lieu : l’éducation nationale, la jeunesse et les sports, les transports… Mais jusqu’ici, il n’y en a pas eu sur la santé.
Vous écriviez que l’hôpital et le système sanitaire et social ont toujours été un des objectifs des radicalismes religieux. Dans quel sens ?
Quand on regarde les textes religieux, à chaque fois, toutes les religions se sont fixées sur le système de santé, à propos de la vie et de la mort notamment. On peut le comprendre, quelque part, les religions l’ont bâti. Évidemment, le système sanitaire et social d’aujourd’hui est un objectif. Il ne faut pas oublier que Daesh, en Syrie, avait dans son programme la gratuité des soins.
Plusieurs de vos propositions sont axées sur la représentation des cultes à l’hôpital. Parmi elles, vous insistez sur l’importance de recruter des aumôniers validés par les autorités cultuelles…
Il existe cinq aumôneries reconnues : catholique, protestante, musulmane, juive et bouddhiste. Ce que nous proposons, c’est une meilleure surveillance des personnes qui vont intervenir à l’hôpital. Cela va de pair avec le contrôle que nous devons avoir des associations cultuelles d’aide aux malades et permettra par exemple d’éviter qu’une association comme Barakacity, qui représente l’islamisme radical fort et puissant, puisse s’y immiscer. En travaillant sur ce point, on s'est rendu compte que les aumôneries sont payées par les hôpitaux à hauteur de 13,5 millions d’euros annuellement. Ça pose des questions… Est-ce qu'en 2022, il ne faut pas véritablement considérer la liberté de chacun de croire en ce qu’il veut mais aussi de payer pour croire ? Est-ce à l'hôpital de prendre à sa charge tous ces millions pour payer les aumôniers ? Personnellement, je ne pense pas que ce soit à l’hôpital de payer les aumôniers.
Il faut aussi, selon vos recommandations, faire appliquer un principe de neutralité à l’hôpital. N’est-ce déjà pas le cas ?
Ce principe existe, mais il a été oublié. Il faut le réaffirmer. C’est pour cette raison que je demande à ce que les soignants signent une charte de la laïcité quand ils sont embauchés et entrent dans la fonction publique hospitalière.
Qui sera concerné par cette charte de la laïcité ?
Tous les agents, les étudiants, les soignants et les entreprises extérieures, excepté les patients dont c’est le droit. Les soignants doivent être neutres. Par exemple, ce n’est pas normal d’avoir dans les établissements de soins français, un réanimateur en activité contre le don d'organes. À la suite du décès d’un patient, la famille voulait donner l’organe et il a refusé, affirmant que c’était “haram” [pêché, NDLR].
En parallèle, vous misez sur la formation, la sensibilisation, la communication. Tout cela n’est pas nouveau…
C’est balbutiant à l’hôpital, il y a une sorte d’hésitation. Dans toute la culture colonialiste, du "wokisme"* qui est en train d’émerger, on sent bien que la laïcité est une ennemie. Il faut donc réaffirmer ce principe. Il y a des journées de sensibilisation mais je crois qu’il faut aller plus loin, comme en affichant la charte de la laïcité dans les couloirs.
Cela sera-t-il suffisant ?
Bien sûr, il n’y a pas de petit combat.
Vous appelez aussi à mettre en place une "analyse qualitative du phénomène de radicalisation". Qu’est-ce que cela veut dire ?
Il n’existe pas de chiffres et d’analyses de ce qu’est le radicalisme aujourd’hui. C’est très compliqué. En introduction, j’ai proposé cette définition : "Tout extrémisme potentiellement violent à contenu politique ou religieux, visant par là au premier chef la radicalisation islamiste, compte tenu du contexte post-attentats dans lequel est plongé notre pays, mais sans exclure d’autres types possibles de radicalisation", qui peut être critiquable, bien sûr. Le Pr David Cohen, psychiatre, avec qui j’ai travaillé pour ce rapport, a construit un questionnaire...
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