Egora : Quelles ont été les premières mesures mises en place par la Chine dès l’apparition du virus, en décembre dernier ? Philippe Klein : J’ai reçu les premières alertes dans ma clinique fin décembre concernant des cas de pneumonies atypiques. Les choses se sont rapidement accélérées avec la déclaration de la transmission interhumaine, le 20 janvier. À partir de là, les autorités chinoises ont instauré une quarantaine pour 60 millions de personnes dans la province du Hubei et la ville de Wuhan, qui compte à peu près 11 millions d’habitants. Elles ont bloqué les frontières, arrêté les transports en commun, fermé l’aéroport international. Les écoles étaient heureusement déjà fermées depuis deux semaines car c’était la période du Nouvel an chinois. Les personnes étaient confinées, mais il s’agissait d’un confinement “large”, un peu comme ce qu’on a actuellement en France. Elles pouvaient toujours sortir pour se rendre dans des supermarchés, ou pour promener leur chien. Cette quarantaine a-t-elle été efficace ? Au bout de trois semaines avec ce régime-là, à la mi-février, l’épidémie n’était pas contenue. Il y avait toujours un brassage de population et les contaminations ont continué. Les autorités ne maîtrisaient absolument pas le phénomène épidémique. Elles ont donc pris des décisions drastiques et ont appliqué une méthode : tout le monde va être confiné de façon stricte. À Wuhan, comme dans les villes modernes chinoises, les gens habitent dans des résidences, donc on peut facilement les sécuriser et les contrôler les allées et venues. Toute la population recevait des informations en temps réel par SMS sur ce qu’elle devait faire et ne pas faire. Parallèlement, une caractérisation a été mise en place, c’est-à-dire que toutes les personnes portant le virus et les cas contacts ont été sortis de la population. Les Chinois ont placé les 15% de formes graves à l’hôpital pour les soigner, grâce à la montée en puissance du nombre de lits de réanimation avec des ventilateurs. Il faut savoir qu’au départ, on s’est adapté au jour le jour, un peu ce que fait la France aujourd’hui alors qu’elle aurait dû tenir compte de l’expérience chinoise. Ce qui était très limitatif à ce moment, c’était le manque d’équipements de protection des personnels. Les 85% de formes mineures ont été placées ensemble dans des salles d’exposition ou dans des grands stades. Les sujets contacts ont été placés dans des hôtels réquisitionnés. À partir de là, on a vu la courbe de l’épidémie s’infléchir en une dizaine de jours.
On devrait retourner à une vie normale le 8 avril. J’ai calculé, ça fera à peu près 52 jours pour vaincre l’épidémie avec cette procédure stricte. Et, au total, 77 jours de confinement. La vie reprend déjà progressivement, avec une immense joie, vous vous imaginez, après trois mois de lutte, de solidarité, de sacrifice. Les Wuhanais ont fait tellement d’efforts pour faire de Wuhan une ville moderne, magnifique, mais ils savent que cette tragédie de l’humanité va porter le nom de leur ville. Il faudra retenir que Wuhan est la ville qui s’est sacrifiée. Le principe de confinement appliqué par le Gouvernement français est-il suffisant à vos yeux ? En France, les mesures sont clairement insuffisantes. Il faut arrêter le brassage de population, il faut arrêter de permettre aux personnes de sortir et d’entretenir l’épidémie. Parallèlement, il va falloir stopper le pays quelques semaines, comme l’a fait la Chine. Si on ne le fait pas...
les choses ne vont pas s’améliorer. C’est inéluctable. Exactement comme l’Italie l’a vécu. Il faudra de toute façon prendre ces mesures un jour ou l’autre. L’idée c’est donc de faire les choses brutalement pour permettre une reprise d’une vie économique normale le plus rapidement possible, plutôt que de laisser traîner la situation et avoir une reprise économique qui va prendre des mois. Comment avez-vous pris en charge vos patients ? Quel traitement leur avez-vous délivré ? Le 16 janvier, j’ai vu un premier patient d’une cinquantaine d’années pour une pneumonie avec un tableau tout à fait atypique. Pour moi, c’était la première alerte. À partir de là, j’ai fermé ma clinique car je ne voulais plus exposer mes patients. J’ai commencé les visites à domicile. J’ai, par exemple, été amené à suivre un jeune patient qui avait une pneumonie sans détresse respiratoire, donc il a pu rester confiné chez lui. J’allais le voir tous les jours pour suivre l’évolution de son état. Je lui faisais une injection de rocephine avec des mucofluidifiants pour éviter la surinfection bactérienne. Il a récupéré et a pu être rapatrié en France deux semaines plus tard.
En parallèle, le Gouvernement français m’a demandé d’assister les évacuations. Je me suis occupé de tous les Européens de Wuhan qui n’étaient pas nécessairement inscrits dans ma clinique. J’ai aussi apporté mon soutien aux ressortissants français qui ont décidé de rester dans la ville. J’ai eu un travail de plus en plus compliqué et dangereux quand j’ai dû prendre en charge les patients présentant des symptômes qui ne pouvaient pas monter dans les avions. Le virus s’est rapproché de moi. C’est là que j’ai demandé à mon épouse de partir. Les médecins chinois dormaient dans les hôpitaux. Il faudrait qu’en France, on fasse de même, et mettre en place des hôtels pour les généralistes. Dans cette situation de crise, il faut considérer tout personnel médical comme sujet contact. Pour les cas graves, en réanimation, l’hydroxychloroquine était-elle utilisée par vos confrères chinois ? Les formes mineures en Chine ont, en général, été traité avec de la médecine chinoise, de la phytothérapie, à base de préparations. Je ne m’y connais pas vraiment, mais, mon avis, il s’agit plus d’un effet placebo. Pour les formes graves, les médecins chinois ont effectivement utilisé l’hydroxychloroquine, en association avec d’autres antiviraux que l’on utilise contre le Sida ou Ebola. Ils se sont rendu compte qu’il n’y avait aucun traitement qui sortait du lot. Donc ils faisaient des combinaisons de maximum trois molécules et, lorsqu’ils voyaient que cela ne fonctionnait pas, changeaient de stratégie thérapeutique pour un même patient dans le temps. L’hydroxychloroquine, associée à d’autres antiviraux, pouvait marcher pour un patient, mais pas pour un autre. À ce jour, nous n’avons pas suffisamment de recul pour dire que cette molécule est un médicament miracle. Si on en avait un, on n’aurait pas actuellement 25.000 décès sur la planète [chiffres mis à jour le 27 mars à 14h, Ndlr]. Vous avez proposé cette semaine une procédure d’urgence à Emmanuel Macron. Qu’avez-vous préconisé ? J’ai adapté tout ce que j’ai vécu ici, à Wuhan, pendant trois mois à la France. J’estime qu’il va falloir...
désigner des cabinets de ville qui seront dédiés au coronavirus. Ils seront une des portes d’entrée pour la caractérisation. Il faudra fermer tous les autres cabinets. Des médecins volontaires iront faire des visites à domicile des cas suspects pour les caractériser. Il est aussi nécessaire de développer des hôpitaux dédiés, de façon à ne pas dégrader le système sanitaire. J’ai également demandé au président de la République de contacter les scientifiques chinois pour qu’ils nous aident, car ils n’ont aucun intérêt à voir l’Europe à genoux. Pour les médecins qui iront au chevet des cas suspects, ils ne devront pas y aller sans être totalement équipés. Ça veut dire une combinaison avec cagoule, un masque FFP2, des lunettes, des gants, et des surchaussures. Quand on ressort de chez le patient, à l’extérieur, on doit ôter tout le matériel, le mettre dans un sac en faisant un appel d’air vers l’extérieur pour ne pas se contaminer, et fermer le sac. Il n’y a que cette procédure qui peut être appliquée pour protéger notre première ligne, les médecins et les infirmières. Le ministère de la Santé a reconnu qu’au début de l’épidémie, il ne restait plus de masques FFP2 dans les stocks de l’Etat. Comment protéger cette première ligne qui manque actuellement de protections ? Au départ, je faisais comme mes confrères français à l’heure actuelle. J’avais quelques masques, mais j’allais au chevet de mes patients la boule au ventre. Il faut se laver les mains, désinfecter le matériel, et prier pour avoir rapidement du matériel pour se protéger. D’où toute la nécessité en France de cette montée en puissance, la plus rapide possible, d’un afflux de matériel. Le rôle de mes confrères sera primordial parce qu’ils vont devoir prendre en charge et caractériser 85% des cas. Cette première ligne, cette médecine de proximité, est une grande force de la médecine française, elle n’existe pas en Chine.
Depuis quelques jours, le nombre de cas d’origine locale est quasiment nul en Chine, mais des cas importés ont été enregistrés. Craignez-vous une seconde vague de contamination liée à l’afflux de personnes venant de l’étranger ? On craint bien évidemment une réimplantation du virus en Chine depuis l’étranger. Nous étions au départ l’épicentre, nous ne le sommes plus car c’est fini, il n’y a plus de nouveaux cas. L’épicentre maintenant, c’est l’Europe. Les Chinois ont réussi, en confinant 60 millions de personnes, à empêcher l’expansion de l’épidémie sur leur territoire national, c’est-à-dire 1.500 milliards de personnes. Malheureusement, les mesures n’ont pas été prises en Europe. On a eu un phénomène de surestimation de soi. Maintenant, c’est vrai, les Chinois ont peur d’une réintroduction du virus. Mais c’est sous contrôle puisqu’il y a un contrôle aux frontières et une quarantaine obligatoire pour tous les étrangers entrant sur le territoire national. D’autre part, le système de santé est totalement en éveil. Les épidémiologistes et les hôpitaux sont en “sur-écoute”. Dès qu’il y aura de nouveaux cas ou un nouveau cluster, on pourra les arrêter grâce aux matériels et aux tests.
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