Tirelire sur un sol fissuré

"Les pouvoirs publics n'ont plus le choix" : les centres de santé inquiets de l'avenir de leur modèle économique

Le 25 avril, l'Institut Jean-François Rey a organisé au Conseil économique, social et environnemental (CESE), un séminaire portant sur les financements des centres de santé. La table ronde a notamment permis d'évoquer les nombreux changements à apporter pour rendre ce modèle économique viable et pérenne.

07/05/2024 Par Lucile Perreau
Rémunération
Tirelire sur un sol fissuré

Article initialement paru sur Concours pluripro

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Cette table ronde, qui a réuni Eric Chenut, président de la Fédération Nationale de la Mutualité Française (FNMF) Hélène Colombani, présidente de la Fédération nationale des centres de santé (FNCS) Frédéric Villebrun, président de l’Union syndicale des médecins de centres de santé (USMCS), a abordé plusieurs sujets très attendus par les centres de santé, notamment le futur accord national de ces structures et le futur cadre tarifaire. "L'étude réalisée par le cabinet ACE santé en décembre dernier, a confirmé que le modèle économique pose un problème aux centres de santé", a déclaré en préambule, Philippe Leduc, directeur du Think Tank Economie Santé et animateur de la table ronde. "Il y a aussi eu un rapport de l'Igas qui n'a pas été rendu public et Agnès Firmin Le Bodo avait promis un plan pour les centres de santé en début 2024. Nous voyons donc qu'il y a du mouvement."

"Plusieurs rapports, notamment de l'Igas, ont dévoilé que notre modèle économique était structurellement boiteux et cela n'a pas évolué. Actuellement nous sommes dans une situation un peu d'urgence", indique Hélène Colombani, qui insiste sur l'urgence de trouver des solutions au plus vite afin de maintenir leur viabilité. La présidente de la FNCS révèle que le modèle économique actuel entraîne de nombreuses déviances. "Nous voyons bien que ces derniers temps, la multiplication des actes inappropriés va générer une rentabilité de la structure au détriment de la société et du patient."  

Même constat pour Eric Chenut. "Le modèle économique fait que beaucoup de nos structures sont en difficulté. Nous voyons que des centres de santé ferment, preuve de leur extrême fragilité […] C'est une réalité sur le terrain aujourd'hui." Lui aussi rappelle que de nombreux rapports se sont succédé et que de nombreuses réformes ont été promises. "Certaines petites choses bougent, on ne peut pas dire que rien n'est fait mais ce n'est pas à la hauteur de l'enjeu de l'accès effectif aux soins de premiers recours. Les centres de santé portent des missions que ne portent pas les cabinets de ville ou les MSP."  Il s'interroge sur la prise en compte de ces missions de service public et de coordination. "Si nous voulons continuer demain la transformation structurelle de l'offre de soins de premiers recours, nous avons besoin des centres de santé." Selon le président de la FNMF, pour que les centres de santé s'inscrivent davantage dans la permanence des soins, il est impératif de financer cette dernière correctement, ce qui n'est d'après lui, "pas le cas aujourd'hui".

Frédéric Villebrun a ensuite pris la parole et a évoqué la question des professionnels en centre de santé. "Les patients ne demandent pas à ce que nous leur prescrivions des traitements mais bien de l'écoute et une relation thérapeutique, or cette dernière n'est plus possible par un abattage d'actes. Les professionnels recherchent une rémunération décente mais qui n'a pas à multiplier les actes." Pour le co-président de USMCS, "les centres de santé remplissent cette cohérence et cette pertinence qui est nécessaire pour le système de santé".

"Plus le choix"

Interrogé par Philippe Leduc sur la question d'un éventuel levier qui pourrait convaincre les pouvoirs publics de modifier le modèle économique, Eric Chenut a déclaré "que toutes les conditions étaient réunies". "Aujourd'hui si nous n'y parvenons pas, nous sommes à la croisée des chemins, il y a un problème de soutenabilité du modèle. En 2024, les dépenses globales pour tout le système maladie (Assurance maladie, complémentaires, reste à charge) atteignent 110 milliards d'euros." Il estime qu'à ce rythme et sans changement, le système ne pourra tout simplement plus être financé et des coupes budgétaires franches devront être réalisées. "Les pouvoirs publics n'ont plus le choix. Les enquêtes d'opinion montrent que les sujets de santé et d'accès aux soins deviennent des sujets de préoccupation majeurs. Il va donc falloir trouver des solutions"

Pour Eric Chenut, il faut désormais démontrer que les centres de santé font justement partie de la solution. "Nous devons le poser comme alternative. Nous devons démontrer que les besoins de financements complémentaires pour arriver à avoir des centres de manière pérenne, coûteront infiniment moins chers que l'inefficience que nous constatons." De son côté, Hélène Colombani estime qu'il faudrait "changer d'organisation des soins primaires car elle n'est actuellement pas réfléchie. Tant que nous resterons dans une vision des soins de premiers recours de ce type, nous n'avancerons pas. L'organisation emmène les moyens et la manière de les financer." Pour la présidente de la FNCS, l'attente des nombreuses promesses sur les centres de santé et leur modèle économique des ministres successifs a laissé place à de la déception. "Je ne sais pas si nous attendons d'en haut, mais je sais que les élus locaux nous sollicitent beaucoup."

Pour Frédéric Villebrun, il peut être utile d'utiliser l'opinion publique pour faire pression sur les pouvoirs publics. "Il faut prendre tous les leviers possibles pour mobiliser. Nous n'avons pas de réponse concrète de la part de l'exécutif. Le plan annoncé par la ministre déléguée (Agnès Firmin Le Bodo) n'arrive pas mais en même temps, un plan pour les maisons de santé arrive. Nous pouvons nous dire que quelque part, la simple équité entre les deux modèles voudrait que nous ayons au prorata, un équivalent, mais nous ne l'avons pas." Il regrette que le modèle des centres de santé "qui permet de porter de manière concrète et pratique" des évolutions comme par exemple Peps, ne soit pas "développé, encouragé ni même soutenu".

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1 commentaire
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Médecine générale
il y a 5 jours
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