"Moralement c'est très compliqué" : un médecin généraliste mis en quarantaine raconte sa galère

29/02/2020 Par Sandy Bonin
Témoignage
Vendredi 21 février, le Dr Didier Pallud, généraliste installé seul à Sillingy en Haute-Savoie, reçoit un patient pour une banale consultation de prévention. Quelques jours plus tard ce même patient est testé positif au coronavirus puis hospitalisé au centre hospitalier d'Annecy. Bien qu'asymptomatique, le médecin est placé en quarantaine à son domicile par mesure de précaution. Il se confie à Egora sur cette période de repos forcé. Il devrait pouvoir être indémnisé par le ministère de la Santé et la Carmf.

En recevant son patient vendredi 21 février, le Dr Didier Pallud était loin de se douter de la mise en quarantaine qui se profilait devant lui. Totalement asymptomatique, le malade s'était rendu chez son médecin traitant pour une simple consultation de prévention. "Il n'avait aucune pathologie infectieuse, ni tableau fébrile. Je savais qu'il travaillait en Italie et je me souviens avoir plaisanté en lui disant que je n'allais pas lui serrer la main", raconte le praticien âge de 56 ans. "A ce moment-là, le coronavirus était en Italie, on ne pensait pas qu'il allait frapper à notre porte", ajoute-t-il.

Le mercredi suivant, dans la matinée, le généraliste reçoit un mail de son patient. "Il m'a expliqué qu'il était hospitalisé et qu'il s'excusait de me compliquer la vie. Il ne se doutait sans doute pas du déferlement médiatique mais il savait que ça allait être compliqué", relate le Dr Pallud. "En lisant ce mail, je me suis effectivement dit que la fin de semaine allait être tendue. Mon agenda était blindé et j'avais déjà des rendez-vous pour la semaine suivante", commente le médecin qui voit environ 40 patients par jour.  A 15h, le généraliste est contacté par un médecin de l'ARS pour un long entretien téléphonique. "On m'a posé des questions sur mon état de santé depuis la consultation, sur le motif de venue du malade… On m'a demandé de travailler avec un masque que je n'avais pas, donc ils sont venus m'en apporter à 17h30", raconte-t-il. Mais à 19h, le couperet tombe. Le médecin est invité à cesser toute activité car...

le risque est considéré comme étant trop important. "Je suis allé dans la salle d'attente prévenir, de loin, ma patiente de 19h15, qui était enceinte. Je comprends complétement ce principe de précaution, je l'applique rigoureusement".   "Moralement, c'est très compliqué" Depuis sa mise en quarantaine, Didier Pallud reçoit un appel quotidien de l'ARS à qui il doit communiquer sa température, prise matin et soir, et son état de santé. Interdit d'exercer jusqu'au vendredi 6 mars inclu, le temps lui semble interminable alors qu'il est habitué à travailler 12 heures par jour. "Je m'emmerde à 100 sous de l'heure. Mes journées sont ponctuées de PlayStation, ‘Sport Auto’, lecture. Il neige depuis deux jours, je serai mieux au ski qu'enfermé chez moi. Je ne peux même pas sortir. Je peux juste aller sur ma terrasse", confie le praticien avant de poursuivre : "je fais chambre à part avec ma femme. Elle, comme ma fille doivent être à plus d'un mètre de moi. Je mange tout seul, je ne peux pas caresser mon chat… Moralement, c'est très compliqué".

D'autant que le généraliste a le sentiment de vivre avec une épée de Damoclès sur la tête. "Même si je ne stresse pas en prenant ma température, je me dis que selon le résultat, je vais devoir appeler l'ARS ou le Samu pour qu'ils viennent me chercher. Ça n'est pas un projet de vie pour les 7 jours à venir. Se dire que potentiellement on a une maladie virale qui envoie certains patients en réa est stressant. Je me dis que je suis sportif et que je n'ai pas de problèmes de santé, mais je suis le premier à dire aux gens qui ont la grippe que ça peut tuer. Les politiques disent de rester calme, je ne suis pas certain qu'à l'ARS ils soient si sereins que ça. "   Une indémnisation du ministère de la Santé et de la Carmf Si le médecin est placé en quarantaine pour avoir côtoyé son patient, l'épouse du Dr Pallud n'est pas touchée par l'obligation d'isolement. Et pourtant… "Ma femme travaille dans un établissement médico-social. Par honnêteté, elle est allée prévenir sa directrice. Une heure après, elle a été déclarée persona non grata et a été invitée à rentrer chez elle" s'agace le généraliste. L'ARS a finalement confirmé au médecin...

qu'il n'y avait aucune raison que sa femme soit soumise à l'isolement "mais, parce qu'il y a toujours un mais, ils m'ont dit que s'il y avait une psychose, ça serait bien qu'elle travaille dans un bureau toute seule et qu'elle porte un masque quand elle est dans les parties communes. Elle le vit très mal", s'insurge-t-il.   Que faire des patients qui auront de la fièvre Financièrement, la situation est aussi compliquée. Le gouvernement a prévu jusqu'à 20 jours d'indemnités journalières pour les patients placés en isolement, mais  jusqu'à ce vendredi, rien n'avait été envisagé pour les médecins libéraux. Finalement, le ministère de la Santé, en accord avec la Cnam, a décidé vendredi dans la soirée que les médecins amenés à être confinés et arrêter leur activité auront une prise en charge assurée dans le cadre du décret assurant la prise en charge des personnes confinées. La Carmf prévoit également une aide pour les praticiens en quarantaine. Elle les invite à se faire connaître*. "Leur indémnisation est basée sur les indémnités journalières. Comme j'ai une grosse activité, ils m'ont dit que j'aurai le maximum, soit 135 euros par jour", dévoile le Dr Pallud. Car les médecins ne pourront pas compter sur leurs organismes de prévoyance. "La Médicale de France m'a dit que je pouvais m'asseoir sur mes indemnités parce que je suis en arrêt de prévention. Ils ne prennent donc pas en compte l'arrêt de l'ARS et à l'issu de cet arrêt si par malheur je suis malade, ils m'appliqueront 15 jours de carence, à moins que je ne sois hospitalisé. C'est hallucinant", s'insurge Didier Pallud.  

Si tout va bien, le généraliste reprendra son activité le lundi 9 mars. Mais dans quelles conditions ? "Il y a des cas déclarés aux alentours. Que faire des patients qui auront de la fièvre. Auront-ils la grippe ? Une angine ? Le coronavirus ? Je ne pourrai pas scinder ma salle d'attente qui est petite mais je réfléchis à demander aux gens qui ont de la fièvre de se signaler pour qu'éventuellement je m'organise pour qu'ils soient seuls à leurs heures de rendez-vous. On aura peut-être des directives d'ici là", projette Didier Pallud. Sans tomber dans la psychose, le généraliste s'interroge sur les suites de l'épidémie en France. "Ça me fait sourire de penser que mercredi, l'ARS m'a demandé de rester confiner chez moi, mais que dans la soirée 3.000 Italiens se sont regroupé au stade Gerland à Lyon sous prétexte qu'ils viennent de Turin et pas de Milan. C'est un peu comme le nuage de Tchernobyl qui s'est arrêté à la frontière…". Une femme de 58 ans, médecin généraliste dans l'Oise, a été infectée par le coronavirus. Elle est hospitalisée au CHU de Nantes et ne présente "pas de signes de gravité". Elle avait été en contact mi-février "lors de ses consultations" avec un homme dont l'état s'est ensuite aggravé. Un généraliste des Hauts-de-Seine a également été infecté par le coronavirus au début du mois de février.    * Les médecins concernés sont invités à se faire connaître en contactant la CARMF par email à l’adresse covid-19@carmf.fr.

Limiter la durée de remplacement peut-il favoriser l'installation des médecins ?

François Pl

François Pl

Non

Toute "tracasserie administrative" ajoutée ne fera que dissuader de s'installer dans les zones peu desservies (et moins rentables)... Lire plus

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