Entente entre médecins et professionnels de santé : attention au compérage

27/05/2019
L’article R. 4127-23 du code de la santé publique pose un principe d’interdiction du compérage. Cette notion peut toutefois sembler abstraite pour de nombreux praticiens. Pourtant, le non-respect de cette obligation déontologique expose le médecin à un risque de procédure disciplinaire.
 

Peu de décisions de justice sont venues définir le contour de cette notion. Le Conseil national de l’Ordre des médecins, quant à lui, définit le compérage comme une entente illicite entre médecins, entre médecins et pharmaciens, auxiliaires médicaux ou toutes autres personnes physiques ou morales portant atteinte à l’indépendance professionnelle des praticiens et au libre choix des patients. Le Conseil d’Etat, dans un arrêt déjà ancien, a indiqué que les faits de compérage impliquaient, à défaut d’une collusion habituelle entre le praticien et un tiers, que les compères aient tiré profit de leur entente (CE, 17 décembre 1975, n°95412). Par contre, si l’entente illicite est habituelle, la qualification de compérage est autorisée sans qu’il soit besoin de rechercher si le médecin en a retiré un bénéfice (CE, 22 mars 2000, n°195615, Juris-Data n°060196).

A titre d’illustration, la perception par un médecin de bons d’achats octroyés par une société commercialisant des produits protéinés en contrepartie de la recommandation donnée par le praticien à ses patients de recourir à ces produits en complément d’un régime est constitutif d’un compérage et contrevient également aux dispositions interdisant au médecin de solliciter ou d’accepter " un avantage en nature ou en espèces, sous quelque forme que ce soit, d'une façon directe ou indirecte, pour une prescription ou un acte médical quelconque" (section disciplinaire du Conseil national de l’Ordre des médecins, 7 septembre 2000, n°7381). La notion de compérage est également associée à une forme de "rabattage" de clientèle. Il a été ainsi reconnu que l’entente existante entre un praticien et une société de transports par ambulance qui orientait les patients, à la suite de démarchages insistants, vers le cabinet du praticien était constitutive d’un compérage (Section des assurances sociales du Conseil national de l’Ordre des médecins, 9 mars 2011, n°4778). Plus récemment, la Chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins a qualifié de compérage la collusion entre un praticien et le site Internet "Groupon". Dans cette affaire, le médecin avait conclu un contrat avec Groupon en exécution duquel il était proposé aux internautes des prestations esthétiques telles que le "comblement à l’acide hyaluronique des rides inter-sourcilières ou pattes d’oie ou rides péri-buccales à 99,90 euros au lieu de 300". La juridiction disciplinaire a précisé que les montants versés par les patients pour bénéficier de ces prestations étant partagés entre le praticien et la société, le médecin avait donc commis un acte de compérage et consenti une commission prohibée. Pour ces violations, mais aussi pour avoir méconnu l’interdiction de pratiquer la médecine comme un commerce, ainsi que pour avoir indiqué sur son site internet des qualifications de "médecine esthétique" et de  "médecin nutritionniste" ne correspondant pas aux qualifications, diplômes, titres ou fonctions reconnus par l’Ordre des médecins (Chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins, 3 juillet 2018, n°13492), le praticien s’est vu interdire d’exercer pendant six mois dont quatre mois assortis du sursis. Le non-respect de l’interdiction de compérage va souvent de pair avec la méconnaissance d’autres obligations déontologiques connexes, ce qui explique la sévérité des sanctions disciplinaires prononcées en la matière. En cas de doute sur la nature des relations qui se nouent entre professionnels, il convient donc de ne pas hésiter à se renseigner a minima auprès de son Ordre pour éviter tout impair.

Par Maître Céline Hullin, Avocat en droit de la santé

 

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