Bâclée et injuste : ce rapport explique pourquoi la réforme de la Paces est mauvaise

27/05/2021
PASS/LAS
Réputée pour sa mise en place chaotique, la réforme du premier cycle des études de santé (R1C) a fait l’objet d’un rapport d’information sévère de la part de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat. “Effets délétères” sur les étudiants des nouvelles filières Pass/LAS, “mal anticipée”, “trop vite appliquée”... Sa rapporteur décrit une réforme de la Paces complexe, encore peu comprise et cernée par les universités et leurs composantes, dont l’ampleur a été largement sous-estimée. Sonia de la Provôté, sénatrice Union Centriste du Calvados et médecin du travail à l’origine de ce rapport d’information, formule ainsi diverses propositions pour à la fois protéger la promotion auto-qualifiée “crash test” de cette année universitaire, et assurer le bon fonctionnement de la R1C dans le futur.  

 

Egora.fr : Quels enseignements tirez-vous de la mise en place de la réforme du premier cycle des études de santé ? 

Sonia de la Provôté : La réforme est complexe. Au départ, elle devait répondre à l’objectif de diversification des futurs professionnels de santé, puisqu’ils étaient essentiellement citadins, issus de familles aisées qui pouvaient - entre autres - financer des prépas privées assez onéreuses. Ils étaient aussi issus des bacs scientifiques mention “bien” ou “très bien”. Son autre objectif est la réussite des étudiants. L’ancien modèle, celui de la Paces, était un concours qui ne permettait pas d’équivalence et de validation de compétences dans un parcours universitaire en cas d'échec. C’est cette volonté de réussite des étudiants qui a permis, dans le cadre de la R1C, de proposer une formation en complément de la formation spécifique d’accès aux études de santé. Soit par Pass, c’est-à-dire une majeure et une mineure dans une licence associée, autre que l’accès aux professions de santé. Soit par une LAS, une licence avec une mineure santé qui permet de faire une passerelle avec les études de santé. Maintenant, pour ce qui est de sa mise en place… La réforme a été inaugurée dans le contexte de crise que l’on connaît, qui a mis les étudiants dans de grandes difficultés, en termes de psychologie ou d’acquis pédagogiques. Ce que nous avons indiqué, c’est qu’elle n’a pas eu assez de temps pour se structurer. Il faut bien comprendre que ce n’est pas qu’une réforme de l’accès aux études de santé, mais bien une réforme de l’université.  

 

Qu’entendez-vous par là ? 

La réforme repose sur un dialogue entre les différentes composantes de l’université, celles des majeures et des mineures. Ce temps-là, de discussion, n’a pas été pris. Ou, en tout cas, ses acteurs n’ont pas suffisamment mesuré les besoins nécessaires d’échanges pour ce qui concerne les programmes, les heures de cours, les modalités d’évaluation. Désormais, il ne s’agit plus d’un concours, il n’y a plus de note éliminatoire… Tous ces sujets, ces changements, n’ont pas été pris en compte par l’université. Nous avons également relevé un déficit de cadrage national par le ministère avec finalement l’autonomie des universités qui a abouti à ce qu’il y ait autant de mises en œuvre de la réforme que d’universités en France.  

 

 

Dans le rapport, vous insistez beaucoup sur les notions d’information et de communication. C’est ce qui a manqué, selon vous ?  

Ça a manqué en amont, clairement. Quand la question de la réforme est arrivée en discussion au Sénat, nous avons regardé tout ce qu’il était nécessaire de mettre en place, et nous nous sommes dit que le temps était court pour réaliser la mise en place du programme partout en France, des heures de cours, du dialogue entre les composantes. Ce qui a manqué, c’est aussi la communication pour les LAS, beaucoup d’étudiants sont dans un entre-deux et n'appartiennent ni complètement aux études de santé, ni à leur composante tout à fait. Ils n’ont pas de référent. Beaucoup de questions en ont pâti : la charge de travail avec les programmes, le nombre de licences qui accueillent les LAS. Si, dans une université, il n’y a que deux licences qui accueillent les étudiants en santé, on n’est pas dans une logique de la réforme qui vise à une réelle diversité des profils des professionnels de santé. Enfin, ce qui a été largement sous-estimé, c’est l’afflux de demandes d'étudiants à faire des professions de santé, qui ont été mises en lumière au moment de la crise du Covid. Tout ça mis bout à bout, on s’est retrouvés sous-calibrés en termes de moyens et de suivi.  

 

Vous interrogez la pertinence de proposer à la fois une Pass et des LAS au sein d’une même faculté. Pourquoi ? 

Nous posons, en effet, cette interrogation. Le constat que nous avons fait, c’est que dans ce contexte particulier, avec une mise en œuvre...

chaotique, un retard d’informations et d'accompagnement des étudiants, les universités qui ont mis en place uniquement des LAS et celles qui se sont concentrées sur une Pass sont finalement celles qui ont permis le mieux aux étudiants de comprendre la réforme et prendre en main leur parcours universitaire. Parce que comprendre les deux modèles c’est compliqué, d’autant plus qu’en Pass, on ne peut pas redoubler. Cette année, quatre universités ont choisi de ne mettre en œuvre que des LAS et finalement, ça s’est mieux passé, car cela a enlevé de la complexité dans la compréhension de la réforme par les étudiants.

 

L’année touche à son but. Elle a été très compliquée pour les premières années. Vous préconisez de favoriser la validation de l’année universitaire pour les Pass ? En quoi cela les aiderait-il ?  

Dans notre rapport, il y a deux sujets : celui de la promotion actuelle, qui a essuyé les plâtres, et ensuite, des préconisations pour le futur. Il ne faudrait pas que cette année particulière se passe à nouveau. Cette question de favoriser la validation pour les Pass 2020-2021, ce n’est pas pour faire passer tout le monde en deuxième année. Il y a évidemment une exigence d'excellence pour accéder aux professions de santé. Mais, ce que nous avons relevé, c’est qu’il y a eu un certain nombre d’interprétations, des méthodologies particulières qui se sont mises en place dans certaines universités avec par exemple des notes qui étaient éliminatoires. Ça a été le cas à Brest, avec la note d’anglais. Des étudiants qui avaient une excellente moyenne sur les autres épreuves, n’ont pas pu accéder aux études de santé, parce qu’ils ont eu 11,5 en anglais. L’idée, les concernant, n’est pas d’effacer l’ardoise, mais dans les conditions actuelles, telles que les évaluations et l’accompagnement ont été mis en place, de réfléchir à une méthode pour que chaque université puisse valider un certain nombre d’étudiants qui sont bien dans les objectifs de la réforme en termes de résultats et ont bien les compétences pour pouvoir accéder aux études de santé. En quelque sorte, cela revient à passer à la loupe leurs résultats pour valoriser ceux qui concernent les études de santé. Nous pensons que cette promotion doit être dans un accompagnement quasi-individuel. Ils n’ont pas été accompagnés, pour un grand nombre, faute d’information, de lisibilité. Ils ont découvert les règles du jeu en cours de route sur certaines notes éliminatoires.  

 

Vous proposez aussi un redoublement exceptionnel pour les Pass de cette année alors que la réforme l’exclut normalement ? 

Oui, au-delà de leur moyenne, il faudrait leur permettre de pouvoir redoubler compte-tenu de la situation et du handicap supplémentaire qu’ils avaient par rapport à des étudiants qui seront classiquement en Pass quand les choses vont tourner normalement, qu’elles seront réparées ou améliorées. C’est la moindre des choses de leur permettre de refaire leur année. Rappelez-vous qu’il y a eu, en plus, un retard très important, et je pense très préjudiciable pour les étudiants, qui auraient dû être informés depuis Parcoursup en terminale des places, des prérequis, de ce qu’il était nécessaire d’apprendre et dans quelles conditions… Dans les faits, ils n’ont été informés qu'en cours de deuxième semestre alors qu'ils avaient déjà passé une grande partie des épreuves. Il y a eu une nette absence de perspectives et de visibilité sur l’année universitaire.  

 

 

Pour les LAS aussi, il faudrait alors une compensation... 

C’est, en effet, exactement la même question qui se pose. Il y a des LAS qui se sont retrouvés avec quasiment un programme de licence complet à réviser… Sans compter un nombre d’heures très important en plus pour leur mineure santé. Au bout du compte, ils se sont retrouvés avec plus d’heures de cours que les Paces. Dans ces situations-là, on doit regarder avec attention les compétences et les résultats de ces étudiants. Ceux qui ne sont pas loin du seuil, il faut mettre en place des critères pour leur permettre d’accéder à la deuxième année. Cela veut dire qu’il faut agrandir un peu les promotions, et pour cela, donner des moyens supplémentaires pour le faire bien. Accompagner et former plus dès l’an prochain, c’est une bonne chose. L’idée de les accompagner cette année de cette manière, c’est pour qu’ils ne soient pas discriminés comme dans un concours mais qu’ils soient bien jugés et évalués sur leurs compétences. Pour nous, il s’agit d’enlever les notes éliminatoires, tout ce qui n’a pas lieu d’être.  

 

Vous dites qu’il faut assurer un nombre de places suffisant en deuxième année… Ce n’est pas le cas ? 

Il y a eu une sous-estimation des moyens, financiers et humains de la R1C. Tout est lié. Il faut assurer, pour cette promotion et les suivantes, en LAS 2, suffisamment de places pour éviter que des jeunes qui étaient en Pass ne puissent pas suivre dans cette filière* s’ils ne peuvent pas accéder à MMOP**. La LAS 2 est importante : il y aura...

à la fois les Pass qui n’auront pas pu accéder aux études de santé et les LAS 1 qui poursuivront leur cursus. Or, on sait qu’il y a un certain nombre de filières de l’université, comme le droit, qui sont en tension. Il ne faudrait pas qu’ils ne puissent pas poursuivre en Las 2 à cause d’un manque de places. Nous demandons donc de prévoir des moyens en termes de formation, de lieux.  

 

Le nombre d’admis en deuxième année de médecine a été beaucoup remis en question tout au long de l’année, entre le dernier numerus clausus pour les Paces doublants, et le numerus apertus pour les Pass et les LAS. Le ministère vante une augmentation des effectifs de 14% à la rentrée prochaine. C’est suffisant ?  

C’est une estimation qui mérite d’être réévaluée à l’aune des résultats de cette année. Il y a un certain nombre d’étudiants en Pass qui ont fait une mineur qu’ils ne souhaitaient pas, donc ils vont intégrer une autre licence. Tout ça va pouvoir se dénouer à l’issue de l’année. C’est pour ça que c’est une promotion qu’il faut suivre.  

 

Dans le rapport, une grande partie est consacrée au financement de la réforme, que vous jugez insuffisant. Il faut mettre encore plus de moyens dans la R1C ?  

Oui, c' est insuffisant. Il y a de vraies questions de financement pour les formations qui se posent. D’abord, dans les licences. Je pense qu’il faut pousser le financement des licences en général, de manière à ce qu’elles accueillent plus d’étudiants, en regard de leur envie et leurs besoins. Ces licences accueillent leurs étudiants mais aussi ceux des LAS avec l’option santé. A l’heure actuelle, c’est toutefois difficile de budgétiser une somme, car nous avons besoin d’un retour d’expérience de l’année en cours, qui doit être fait assez rapidement dans l’été.  

Il y a aussi besoin de budget dans les facultés de santé, car les promotions vont être augmentées. Elles auraient déjà pu être plus agrandies, d’autant que dans les territoires, les problèmes de démographie médicale et de déserts médicaux sont importants. On sait que ces problématiques surviennent surtout là où il y a des petites promotions au sein des universités. Faute d’effectifs suffisants d’hospitalos-universitaires, on est limités dans le nombre de jeunes qu’on forme.    

Et puis enfin, il y a un vrai sujet, celui des terrains de stage : on ne peut pas faire entrer 12 étudiants dans une chambre d’hôpital. L’objectif de la diversification des profils avec la réforme, c’est aussi la diversification des parcours. C’est donc d’avoir un plus grand nombre de terrains de stage chez les médecins généralistes, ailleurs que dans la ville-centre, dans les hôpitaux publics, en dehors du CHU, dans les cliniques privées, de manière à ce que les étudiants aient le plus tôt possible une expérience professionnelle de médecine qui ne soit pas que celle de l’hôpital.  

 

L’argent, c’est le nerf de la guerre du bon fonctionnement des réformes des études de médecine et de celle du premier cycle en particulier ? 

Les questions budgétaires, c’est le nerf de la guerre, non pas parce qu’il faut dépenser plus mais parce qu’à partir du moment où on a une programmation pluriannuelle avec un numerus pour 5 ans, il faut qu’on ait une programmation pluriannuelle d'investissement et de fonctionnement pour cinq ans, en lien spécifiquement avec cette réforme. Le ministère doit débloquer un budget et avoir une réflexion dans le temps : au fur et à mesure qu’on gonfle les effectifs, on rend nécessaire un accompagnement...

des promotions plus important. Par exemple, je pense aux chambres de simulation médecine : ça demande de l’investissement et toutes les universités n'ont pas forcément les moyens d’en avoir à hauteur de la taille des futures formations. Tout est lié. Je le répète : le dialogue par les ministères n’a pas été suffisamment abouti pour évaluer ces besoins. C’est la capacité à former qui limite la taille des promotions et on voit bien que ça a une répercussion sur ce qu’il se passe sur les Pass et LAS. Ce que nous, nous souhaitons pour les promotions qui suivent, c’est qu’on ne réponde plus en pourcentage de reçus, mais qu’on réponde pratiquement université par université et qu’un jeune qui s'inscrit dans Parcoursup, sache où il va, ce qu’on attend de lui, et ce que ça lui permet de faire.    

 

Pour les prochaines promotions, comment s’assurer de la bonne gestion de la réforme ? 

On peut considérer qu’il y a eu des dysfonctionnements dans la mise en place de la réforme dans certaines universités. Sans les accuser d’avoir voulu mal faire, c’est juste que la réforme a été complexe à mettre en œuvre. Il faut donc mettre en place un observatoire en temps réel en fonction des résultats et des choix itératifs des étudiants, pour qu’ils ne soient pas, à un moment ou un autre, face à un mur. Nous préconisons un comité de pilotage national de la part du ministère de l’Enseignement supérieur, en lien avec le ministère de la Santé car dans ce qui conditionne le nombre d’admis en deuxième année, il y a une estimation des besoins de professionnels de santé dans un territoire donné pour cinq ans. Il faut vraiment un pilotage mano a mano entre les ministères, un pilotage national entre le ministère et les universités, de façon à ce qu’il y ait un cadrage minimal pour tous. Grâce à cela, il y aurait un minimum requis en termes de contenu programmatique, un minimum requis en matière d’organisation des heures de cours. Il ne peut plus y avoir des promotions qui font 50% plus d’heures que d’autres, comme c’est le cas actuellement. D’une université à l’autre, l’équité n’existe pas entre les promotions. Il faut un cadrage sur la façon dont on évalue les étudiants : ces histoires de note éliminatoires, il y a des facs où ça existe et d’autres où ça n'existe pas. Il faut aussi un cadrage pour voir si on a un droit au remord quand on fait une LAS 1, certains l’ont permis, d’autres non. C’est aussi pour ça que le nombre de places est complexe, aujourd’hui à estimer.  

 

L’autonomie des universités est-elle possible avec cette réforme telle que vous la décrivez ? 

C’est tout à fait compatible. Ce n'est pas parce que les universités sont autonomes qu’il ne doit pas y avoir de cadrage national de la réforme, de la part du ministère. C’est son rôle. Les universités elles même, pour celles que j’ai pu avoir en audition, disent qu’il aurait fallu qu’il y ait un cadrage plus important. Faute de cadrage, les discussions ont dû être importantes, la crise sanitaire a complexifié les choses. Il n’y avait pas un cadre de départ dans lequel les universités pouvaient se couler complètement pour mettre en place leurs filières.  

 

Selon vous, il faut aussi créer un référent spécial pour les LAS, dont le fonctionnement est totalement nouveau ? 

Oui, absolument. Avant, il y avait une promotion unique Paces. Maintenant, les promotions sont constituées de Pass et de LAS et il faut un dialogue entre toutes les composantes.   

 

Dans votre rapport, vous parlez d’un statut d’enseignant associé. A quoi correspond-t-il ?  

C’est une proposition faite dans l’urgence, car il n’y aura pas une promotion spontanée de PU-PH ou MCU-PH*** pour ces jeunes de la réforme, on l’a bien compris. D’autant plus que leur répartition nationale est extrêmement hétérogène d’un secteur universitaire à un autre, le nombre d’étudiants par enseignant n'est pas tout à fait le même. Il y a besoin de les renforcer et pour ça, il y a des procédures à suivre. Donc l’idée de ce statut serait un statut intermédiaire, qui permet malgré tout de pouvoir former, au travers de stages, des étudiants hors les murs de l’université centre. Le profil des enseignants associés, ce sont des professionnels qui ont fait une formation pour pouvoir enseigner. C’est l’équivalent des MSU, appliqué aux premières années.  

 

*Le redoublement en Pass, nouveau modèle de la Paces, n’est plus permis. En revanche, les étudiants de cette filière pourront demander à intégrer une deuxième année de LAS.  

**MMOP : Médecine, maïeutique, odontologie et pharmacie. 

*** Maître de conférences des universités-praticien hospitalier.  

La consultation longue à 60 euros pour les patients de plus de 80 ans et/ou handicapés est-elle une bonne mesure ?

A Rem

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Une fois par an en sortie d’hospitalisation ou critère strict. Il n’y a ici aucune revalorisation réelle au vu des cotations exist... Lire plus

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