Internes, si vous connaissiez la médecine du travail vous la choisiriez

22/08/2017 Par Dr Bernard Salengro

Nouveaux internes qui avez encore quelques jours pour faire votre choix de spécialité, tendez l'oreille. Vous voulez des patients qui sont dans la vraie vie ? Avoir à reveler des défis diagnostiques ? Pouvoir publier aisément, même au niveau international ? Ne cherchez plus, choisissez médecine du travail. C'est en tout cas le message exalté du Dr Bernard Salengro, médecin du travail.

  C’est un exercice médical peu choisi à l’internat car peu connu et pourtant très intéressant et très enrichissant :  celui de la médecine du travail. Cette spécialité dont on entend peu parler pendant les études de médecine car elle n’est pas connue des enseignants ou si peu, alors que c’est un des exercices les plus riches et les plus exigeants par rapport aux autres spécialités, ce qu’il faut expliciter. Le jeune médecin qui a passé les sévères fourches caudines des premières années de médecine se retrouve devant un choix très engageant à l’occasion du concours de l’internat. Les textes actuels font que ce choix sera celui d’une discipline pour toute sa carrière. Le choix ou l’absence de choix peut amener à se retrouver dans des spécialités qui ne vous correspondent pas, tant l’exercice peut être très différent avec des spécialités très techniques et d’autres très relationnelles et se retrouver psychiatre alors que l’on voulait être radiologue ou vice versa. Le manque de médecins du travail est patent, il suffit de consulter les offres d’emploi dans la littérature médicale ! La médecine du travail présente beaucoup de particularités très intéressantes qui sont peu connues dans les facultés : - En effet la patientèle n’a rien à voir avec celle des autres spécialités plus concernées par les patients qui ne travaillent pas encore (les enfants) ou qui ne travaillent plus (les retraités), là il s’agit de s’occuper de patients, parfois impatients, qui produisent et qui sont dans la vraie vie de la société. Cette confrontation permet d’être au cœur des évolutions des techniques et des savoirs avec leurs performances et leurs contraintes. Cela permet d’approcher les merveilles produites en les comprenant mais également la réalité des difficultés que peuvent vivre les salariés. Un des effets visibles est la juste perception des évolutions et des difficultés de ceux "qui travaillent et qui produisent", ce que peu d’autres médecins peuvent approcher et de ce fait cela produit des jugements trop souvent rudimentaires et à l’emporte-pièce de leur part sur la société ! - En effet les pathologies et les effets sur la santé ont peu à voir avec les pathologies traditionnelles, on y rencontre plus de syndromes que de pathologies classiques bien constituées, on y est confronté aux difficultés d’adaptation ainsi qu’aux critères de qualité de vie au travail. La souffrance y est aussi forte mais la nosologie n’y est pas aussi facile en ce sens qu’elle n’est pas toujours bien stabilisée et qu’il faut la caractériser : on n'est pas souvent dans l’application de ce qui a été enseigné à la faculté mais dans la création de nouveaux concepts, ce qui est un vrai défi ! Un exemple : le diagnostic différentiel entre le burn out et la dépression !n' - En effet on y traite de l’optimisation des contraintes en fonction des caractéristiques humaines et c’est le champ de l’ergonomie, de la psychologie et de la sociologie de groupes. Des sciences passionnantes dont on apprend les règles tant elles influent sur la qualité de vie au travail puis sur la santé au travail. - En effet le jeu de rôle du médecin avec son patient y est tout à fait différent et beaucoup plus impliquant ! Autant le médecin classique produit une ordonnance ( il ordonne !) à son patient qu’il a examiné de façon clinique ( vient de clinos qui signifie couché en grec, donc en position inférieure par rapport au médecin) autant le médecin du travail doit convaincre et négocier avec son patient dans son rapport individuel mais également avec l’employeur de son patient et également avec la collectivité de patients au travers des différences instances collectives auxquelles il s’adresse ( CHSCT en particulier mais pas seulement) - En effet non seulement on y rencontre des approches scientifiques telles que l’ergonomie, la psychologie et la sociologie mais on y rencontre également des approches tout à fait différentes comme l’épidémiologie avec ses lois statistiques nécessaires pour ne pas prendre des vessies pour des lanternes, comme la toxicologie avec sa rigueur méthodologique nécessaire tant ses conséquences peuvent être gravissimes. C’est aussi la nécessité d’avoir des notions sérieuses concernant l’économie et le droit pour comprendre ce qui sous-tend les situations professionnelles rencontrées, mais également pour prendre en compte le retentissement de certains actes du médecin du travail. - En effet c’est un exercice différent, amplifié par la récente évolution législative, en ce sens que ce n’est pas un exercice de pratique solitaire comme c’est le cas pour beaucoup de médecins mais un exercice qui s’accompagne des richesses et des exigences du travail en groupe. Le médecin du travail anime et coordonne une équipe faite de divers professionnels avec leurs savoirs et leurs pratiques qui leurs sont propres dans l’optique d’avoir plusieurs regards sur la même situation professionnelle et ainsi d’en approcher de plus près la réalité. C’est un exercice qui nécessite dialogue et écoute réciproque dans une éthique partagée de proposition d’amélioration des situations professionnelles. - En effet c’est un exercice très différent en ce sens que l’objet d’étude et la démarche n’est pas centré sur le patient mais sur l’acte de travailler et ses répercussions d’où le terme de "médecin du travail" plutôt que de "médecin du travailleur" ! Il s’agit d’analyser la réalité du travail et de ses répercussions afin d’améliorer ou au moins de limiter ces répercussions sur les salariés. - En effet c’est un exercice différent car laissant plus d’initiative, à la différence des autres spécialités médicales où il faut s’intégrer à des équipes universitaires et en respecter la hiérarchie pour approcher la possibilité d’une publication dans laquelle le nom de l’auteur n’est pas toujours cité en premier. En médecine du travail il y a tellement à faire qu’il est possible de publier y compris au niveau international ! Dans le même esprit cet exercice permet de modifier les conditions d’émergence des problèmes et ainsi de réaliser une véritable prévention primaire, certes cela nécessite beaucoup de travail de persuasion et de démonstration mais c’est porteur de grande satisfaction. On est loin des situations de conduites thérapeutiques prescrites par les guides des financeurs ! - En effet c’est un exercice différent en ce sens qu’il s’agit d’un statut de cadre de droit privé le plus souvent mais également de droit public dans les hôpitaux en particulier, ce qui sous-entend beaucoup de choses que ne connaissent pas les confrères libéraux comme la formation permanente rémunérée, comme les congés payés, comme la réalité d’horaires définis, comme la réalité d’une retraite intégrée aux régimes des cadres salariés, comme pour les consœurs la réalité de congé de grossesse etc... Beaucoup de choses que regardaient avec condescendance les confrères libéraux du temps où leurs revenus étaient très conséquents ce qui n’est plus la règle ! Certes il y a des contraintes et tout n’est pas rose, mais la comparaison mérite d’être posée avec tous les arguments précédents. Quand on regarde les autres spécialités que l’on peut approcher soit lors de la formation, soit lors des remplacements ou lors des contacts confraternels on trouve qu’elles n’ont pas cette ouverture ni ces intérêts. C’est pourquoi on peut inciter les futurs confrères à examiner la réalité de ces conditions pour les prendre en compte dans leur choix de l’internat. Cet argumentaire peut également concerner les confrères installés et qui veulent changer d’exercice, pour de multiples raisons (contraintes d’exercice libéral, d’exercice solitaire, de contrôles tatillons de la sécurité sociale, de recherche de statut de salarié etc ..). Pour ces confrères il faut également ajouter que la reconversion, comme pour les autres spécialités, nécessite plusieurs années d’étude mais à la différence des autres reconversions cette période est prévue et a le statut de "collaborateur médecin" qui est un statut salarié avec un revenu de salarié prévu par la convention collective et une fonction également bien cadrée par les textes. Une récente réunion dans le cadre de l’Ordre national des médecins a entendu les universitaires déclarer qu’ils ouvraient grand leurs portes aux confrères voulant se reconvertir par cette voie.   * Le Dr Bernard Salengro est médecin du travail, expert santé au travail CFE-CGC et Président d’honneur du syndicat santé au travail SGMPSST

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