"Le libéral n'est plus attractif" : à 45 ans, ce généraliste devient "employé communal" d'un village de 2000 habitants

20/10/2021 Par L. C.
Témoignage

Depuis le mois d’août, le Dr Alexandre Régeasse exerce à Amblainville, petite commune de l’Oise de moins de 2.000 habitants, avec une particularité : il est employé communal, payé par la mairie pour effectuer 35 heures de consultations par semaine. L’avenir de la médecine, selon le praticien de 45 ans, lassé de devoir effectuer les tâches administratives qui plombent l’exercice libéral. Un avis que partage le maire qui a tout misé sur le salariat et cherche d’ailleurs à recruter un second généraliste pour intégrer le centre municipal de santé.  C’est l’histoire d’un maire qui voulait éviter à tout prix éviter "les trous dans la raquette ". Il y a près de cinq ans, voyant l’unique généraliste libéral de sa commune approcher de la retraite à grands pas, le maire d’Amblainville, Joël Vasquez, s’est inquiété de voir ses 1.800 administrés bientôt dépourvus de médecin traitant. Petites annonces – relayées dans les facultés, incitations financières, aides… L’élu DVG, qui en est à son quatrième mandat, a tout tenté pour attirer un praticien dans sa ville. Mais "cela n’a rien donné", se rappelle-t-il. "On a eu des propositions de médecins africain ou roumain, mais l’un ne pouvait pas exercer en France [avec son diplôme] et l’autre demandait une enveloppe 15.000 euros pour s’installer. On n’était pas très d’accord, cela me semblait compliqué", explique le maire, qui s’est lancé à la recherche d’une solution pérenne. Une situation d’autant plus pressante qu’une dizaine de médecins des communes alentour ont, eux aussi, l’âge de partir à la retraite et pourraient faire valoir leur droit à tout moment.  

C’est en discutant avec son fils, médecin généraliste âgé de 38 ans, qu’il a envisagé le salariat comme une issue favorable à cette impossibilité mathématique qui se profilait. Une solution qui permettrait à Amblainville de ne pas devenir à son tour un désert médical. "Il m’a dit que, pour ses jeunes confrères et lui, le salariat était vraisemblablement l’avenir, que les médecins ne faisaient pas dix ans d’études pour remplir des papiers et que la gestion du cabinet leur prenait énormément de temps, au détriment de la médecine." Renforcé dans son idée par d’autres témoignages de jeunes praticiens, Joël Vasquez entre en contact avec l’Agence régionale de santé (ARS) et la Caisse primaire d’Assurance maladie (CPAM) afin de créer un centre municipal de santé (CMS) au sein du centre de santé privé déjà existant. Il voit le jour au premier semestre 2021. Des cabinets y sont mis à disposition avec tout le matériel nécessaire (table d’examen, ordinateur, logiciel métier…). Ne restait plus qu’à faire venir un médecin généraliste.   "Les week-ends, je ne connaissais pas" C’est dans la presse médicale que le Dr Alexandre Régeasse, 45 ans, a vu passer l’annonce. Alors médecin chez les sapeurs-pompiers du Groupement Ouest de l’Oise, près de Beauvais, le généraliste a saisi l’opportunité. "Nous avions été très sollicités chez les pompiers lors de la vague épidémique liée au variant britannique du Covid-19. Ça a été très chaud. Alors je me suis posé les bonnes questions et, finalement, je me suis dit qu’il fallait aussi me préserver." Tout en gardant son statut volontaire chez les sapeurs-pompiers – un devoir auquel il ne pourrait déroger, le Dr Régeasse a ouvert son cabinet dans le CMS en août. Une forme d’exercice qu’il connaît bien puisqu’après trois années passées en libéral à Bondy (Seine-Saint-Denis), il avait préféré s’orienter vers le salariat en Ile-de-France, épuisé par...

les lourdeurs administratives et les charges inhérentes à l’activité libérale. "Les week-ends, je ne connaissais pas, confie-t-il. Aujourd’hui, exercer en libéral est très pénalisant. Ce n’est pas compatible avec une vie normale." "Les jeunes médecins ont aussi envie d’avoir une vie. Quand ils sont dans un centre de santé, ils peuvent prendre des congés. Mon fils, quand il veut prendre des vacances, il faut qu’il trouve un remplaçant. C’est la croix et la bannière. Pour donner satisfaction à sa patientèle, ça lui coûte pratiquement de l’argent", soutient le maire d’Amblainville, Joël Vasquez, selon qui, le salariat est le choix de la nouvelle génération.   "L’activité vous contraint à shunter les étapes" A force d’accumuler les heures, le risque de commettre des erreurs est particulièrement élevé, soulève également le Dr Régeasse, embauché sur une base de 35 heures par semaine par la mairie. "En libéral, vous êtes parasité par le travail administratif. Ce temps-là s’ajoute à la pratique médicale. Or, être médecin est un métier à responsabilités, pour lequel il faut vraiment être concentré, ne pas être dérangé par ce genre de choses. Finalement, on finit par accumuler les heures et se retrouver à plus de 60 heures par semaine ou à finir à minuit. C’est inhumain. On travaille pour vivre, pas l’inverse." "Vous prenez des risques lorsque vous êtes fatigué, vous vous exposez à des accidents d’exposition au sang par exemple, vous pouvez commettre des erreurs, non pas parce que vous avez un manque de connaissances mais parce que vous êtes fatigué. L’activité libérale vous contraint à aller vite, à sauter les étapes. Mais on ne peut pas faire n’importe quoi. Il s’agit de la santé des gens que l’on a entre nos mains. Le salariat peut offrir cette possibilité d’exercer votre métier en respectant les règles de l’art", prône-t-il, convaincu.Et il semble que les habitants en soient, eux aussi, satisfaits. En témoigne la vitesse à laquelle les rendez-vous ouverts ont trouvé preneurs. "Dès qu’on a ouvert Doctolib, on a été pris d’assaut, se réjouit le maire. Le Dr Régeasse a trois semaines d’avance dans les rendez-vous. C’est fou." Face à ce succès, l’élu entend salarier un deuxième praticien pour étoffer l’offre médicale. D’autant que la ville "est en pleine expansion", avec "160 lots d’appartements qui devraient sortir de terre fin 2022, début 2023", portant la population d’Amblainville à 2.400 d’ici 2025-2030, selon les documents d’urbanisme.

La commune aimerait également embaucher une secrétaire médicale si le centre municipal de santé parvient à accueillir un nouveau médecin. A l’heure actuelle, la prise de rendez-vous se fait via Doctolib, et une secrétaire de la mairie se charge de prendre les rendez-vous pour les personnes isolées ou âgées qui n’ont pas accès à l’agenda en ligne. De sorte que sur ses 35 heures de travail, le Dr Régeasse ne fait "que de la médecine", vante Joël Vasquez.   "On sera déficitaires en 2022" Pour une petite commune rurale de moins de 2.000 habitants représente un investissement financier non négligeable, mais le maire d’Amblainville semble...

serein : "Je pense que le modèle est viable", assure-t-il, citant l’exemple de la commune de Noyon qui est parvenue à trouver l’équilibre tout en salariant 3 médecins. Les coûts engendrés lors de la première année risquent néanmoins de se faire sentir dans les caisses. Mais, avance Joël Vasquez, "nous avons pris soin au sein de notre collectivité de faire un budget supplémentaire car on sait très bien qu’on sera déficitaires en 2022 puisqu’on n’aura pas encore touché les aides". En effet, explique-t-il, "il y a des choses que nous ne sommes pas capables aujourd’hui de quantifier, à l’instar de la Rosp car elle est versée à N+1. Pour 2022, on va toucher cette redevance fin 2023. Quand nous la toucherons, nous verrons comment cela équilibre nos comptes". Mais la commune n’a pas encore fait le tour de toutes les aides, comme celles débloquées pour l’embauche d’une secrétaire médicale par exemple. Quoi qu’il en soit, défend Joël Vasquez, "la santé n’a pas de prix". "En tant qu’élu, je ne peux pas imaginer que 2.000 habitants ne sachent pas où aller si un médecin de la commune part." De son côté, le médecin généraliste, employé municipal, appelle les politiques à "mettre la main à la pâte" et à "répondre aux déserts médicaux" en optant pour le salariat "pour que la médecine générale redevienne attractive", plaide-t-il.

S’il gagne effectivement moins d’argent que lorsqu’il était installé en libéral*, "le temps dégagé permet d’exercer d’une façon beaucoup plus adaptée", observe le Dr Régeasse. "Si l’on posait la question à d’autres personnes travaillant dans d’autres corps de métier : est-ce qu’elles seraient prêtes à travailler plus de 60 heures par semaine ? Je pense que la réponse serait non. Quelque part, ça relève du bon sens." Si en libéral, on est "médecin tout le temps", là, "on reste médecin", mais on s’accorde le droit de couper.   *Le Dr Régeasse ne souhaite pas communiquer le montant de son salaire.  

La mairie d’Amblainville recrute
Vous êtes médecin et souhaitez exercer en tant que salarié dans un centre de santé municipal, adressez votre candidature à l’adresse suivante : amblainville@amblainville.fr
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La consultation longue à 60 euros pour les patients de plus de 80 ans et/ou handicapés est-elle une bonne mesure ?

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