"Je n'en peux plus, je m'arrête" : confidences d'une vaccinatrice au bout du rouleau

20/03/2021 Par A.M.
Témoignage
Les maladies infectieuses et la vaccination, ça la connait. Médecin généraliste depuis 35 ans, le Dr Françoise Louis a exercé en cabinet, en centre de vaccinations internationales, en service de maladies infectieuses et tropicales et au sein d'ONG où elle a pris en charge des patients atteints de tuberculose et de VIH. "C'est vous dire si je suis pro-vaccin", nous signale-t-elle. Mais la campagne de vaccination française contre le Covid aura eu raison d'elle : trop de tergiversations, trop d'incertitudes, trop d'agressivité de la part des patients. "En burn out", cette généraliste remplaçante a décidé de prendre une "pause" de deux semaines. Elle se confie à Egora.

  "J'ai commencé à vacciner dès le début de la campagne, il y a trois semaines. Au total, j'ai dû vacciner une cinquantaine de personnes. Puis le ministère nous a informés qu'on n'aurait pas de flacon cette semaine, alors que 33 vaccinations étaient prévues ce samedi… sans compter les plus de 40 personnes sur liste d'attente. Dans l'urgence, on a dû reporter ces rendez-vous. Et lundi, avec la suspension du vaccin, on les a finalement annulés… Cette suspension a un gros impact. La semaine dernière, on avait plein de demandes de vaccinations, et depuis lundi, zéro. Ce que l'on craint, c'est que les gens ne veillent plus se faire vacciner, ni avec AstraZeneca, ni avec le vaccin Johnson et Johnson qui va arriver. Je les comprends : leurs doutes sont légitimes étant donné les informations qui circulent, même si ce n'est pas fondé scientifiquement… Il y a un manque flagrant de confiance dans la stratégie vaccinale. Une incompréhension totale. Depuis un an, nous recevons l'angoisse des gens. Ils déchargent leur agressivité sur nous, nous sommes leur punching-ball. Alors à un moment, on n'en peut plus.

Ce n'est pas uniquement la charge de travail, mais l'effort qu'il faut fournir pour leur répondre, pour trouver du rationnel là où il n'y en a n'a pas forcément. Ça a commencé par les masques. J'ai travaillé dans la prise en charge de la tuberculose : bien sûr que les masques servent à quelque chose ! J'ai toujours essayé de recentrer sur le rationnel, je lis Jama, The Lancet pour pouvoir m'appuyer sur les données scientifiques. Mais il y a un tel problème de communication de la part du Gouvernement…

C'est à nous d'expliquer aux gens les consignes du Gouvernement, à nous de les appeler, à nous de leur annoncer que non, il n'y aura pas de vaccins, que non ils ne sont pas éligibles… Les indications des différents vaccins ne sont pas explicites, même sur le site Sante.fr. Ils ne communiquent pas sur le fait qu'il y a un sous-groupe dans le groupe à risque. Il n'y a pas de distinction entre les "hautement à risque de forme très sévère" et les "à risque de forme grave"…   "J'en suis venue à pleurer au cabinet" Avec cette suspension, les gens se sont précipités sur les centres de vaccination. Les informations n'étant pas très claires, ils ont pris rendez-vous pour s'y faire vacciner alors qu'ils ne sont pas éligibles aux vaccins Pfizer et Moderna. Après coup, ils nous contactent pour avoir un certificat d'éligibilité. Ils nous prennent en otage. Les secrétaires sont débordées, c'est l'horreur pour elles… Nous, quand on les rappelle et qu'on leur explique qu'ils ne sont pas éligibles, on se fait raccrocher au nez ou on se fait régulièrement insultés. Ils me disent que je n'y connais rien parce que j'ai travaillé en Afrique, ou me croient inexpérimentée parce que je suis remplaçante. Là, je suis épuisée. Je suis en burn-out. Ce n'est plus supportable. J'en suis venue à pleurer au cabinet l'autre jour, après m'être fait insultée pour la deuxième fois de la matinée. Si quelqu'un m'insulte encore, je ne sais pas ce que je serais capable de faire… Sans doute que je quitterai le cabinet pour ne pas être désagréable.

Donc la semaine prochaine et la suivante, je m'arrête. Je n'en peux plus. Ce n'est pas un manque de résilience de ma part, car j'ai vu des horreurs dans ma vie professionnelle, j'ai travaillé en Afrique du Sud auprès d'enfants qui n'avaient pas d'antirétroviraux. Mais on ne sent pas du tout soutenus, on est isolés avec...

nos certitudes scientifiques et on n'arrive pas forcément à convaincre les gens face à ce qu'ils lisent sur internet. J'ai des vaccinations prévues samedi et après je m'arrête. J'ai un flacon de rab. Véran nous dit de ne pas faire de stock, mais en fait on en fait tous ! Maintenant, on va attendre d'avoir les flacons dans les mains pour appeler les patients. On ne peut pas prévoir une journée de vaccination la veille au soir…   "On va tous craquer à un moment ou à un autre" Ils nous expliquent comment nous organiser alors qu'ils ne montrent pas leur capacité à planifier les choses… Je ne comprends pas leur système de commande. Et pourtant j'ai travaillé dans des organismes humanitaires, où l'on avait un système de commande très complexe, avec des stocks tampons. On ne comprend pas non plus pourquoi ils ont élargi les indications des vaccins alors qu'ils n'étaient pas sûrs d'avoir les doses.

Même si clairement, je n'aimerais pas être responsable politique ou au Gouvernement en ce moment, je ne comprends pas pourquoi ils n'ont pas fait appel à des spécialistes en approvisionnement pour cette campagne vaccinale. Pourquoi pas le service de santé des armées ? Ou des ONG comme Médecins sans frontières qui ont appris à gérer des campagnes de vaccination, en tenant compte des barrières ? Plutôt que des cabinets privés… Je vais faire une grosse pause, pour moi. Je ne suis probablement pas la seule. On va tous craquer à un moment ou à un autre."

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