Journal de bord d'un réanimateur: "Je me suis dit que je ne voulais plus mettre les pieds en unité Covid"

01/12/2020 Par Romain Fonsegrives
Témoignage
En première ligne pour traiter les patients atteints par le Covid-19, un anesthésiste-réanimateur livre chaque semaine pour l'AFP, sous couvert d'anonymat, son journal de la crise sanitaire depuis son hôpital de région parisienne. Alors que la décrue s'amorce, dernier témoignage hebdomadaire et premier bilan de la deuxième vague.

"La deuxième vague commence à prendre fin. Comme au printemps, nous faisons petit à petit marche arrière. Nous avons fermé en début de semaine dernière une de nos unités de réanimation Covid. Nous en fermons une nouvelle cette semaine. Il n'en restera plus qu'une seule que nous allons garder encore plusieurs semaines, le temps de voir ce qu'il se passe En quoi cette deuxième vague aura-t-elle été différente ? Nous avons déprogrammé massivement mais sur un temps assez court. Cela a souvent été très mal compris par les patients et les chirurgiens mais il n'y avait pas d'alternative. Probablement plus des problèmes liés à un défaut d'anticipation que des critiques sur le principe même de la déprogrammation.

Les patients se sont souvent sentis délaissés par un hôpital public lui-même en souffrance. Il y a très certainement des progrès à faire à différents niveaux si la situation devait se produire à nouveau. Nous avons pu améliorer la prise en charge de certains patients et de leurs proches. La semaine dernière encore, nous avons pu faire sortir un jeune patient de réanimation Covid sans qu'il ait été intubé. Peut-être qu'au printemps dernier, sa prise en charge aurait été différente et qu'il aurait eu une hospitalisation en réanimation beaucoup plus longue. Une petite victoire en soi. Les proches, eux aussi, ont probablement été mieux pris en charge, il me semble. Les visites ont été autorisées quasiment dès le début, au moins dans les secteurs de réanimation. Il me semble que de nombreuses familles ont pu accompagner leur proche jusqu'au dernier souffle, chose impensable il y a encore quelques mois. Nous avons tenté d'éviter les scènes dramatiques d'adieux au travers d'un cercueil scellé comme c'était le cas il y a encore peu de temps. Je ne sais pas si cela était vraiment 'autorisé', mais j'ai permis cette semaine à l'épouse d'un patient mourant, atteinte elle-même du Covid, de venir auprès de lui pour lui dire au revoir. Elle n'avait que lui...   Impuissance insupportable  Néanmoins, cette deuxième vague a été hautement douloureuse par ailleurs. Pour bon nombre de patients, nous n'avons toujours pas trouvé de recette miracle. Curarisation, corticoïdes, décubitus ventral, circulation extra-corporelle parfois. Rien n'y fait. Pour de très nombreux patients, il est toujours aussi difficile de savoir ce qui permettra de les améliorer et espérer leur sauver la vie. Et personnellement également. Le sentiment de 'ras-le-bol' est très vite revenu. Il y a un peu de fatigue et de lassitude, certes. Mais également un sentiment insupportable d'impuissance face à cette maladie que nous n'arrivons pas à traiter comme nous le voudrions. La semaine dernière, après une garde de plus de 24 heures, je me suis dit que je ne voulais plus mettre les pieds en unité Covid. C'est trop dur et trop insupportable comme position pour un médecin. Évidemment, j'y retournerai et je continuerai de faire mon travail aussi bien que possible mais malheureusement, nous ne nous sentons pas réellement être de meilleurs médecins Covid qu'au printemps dernier. Y aura-t-il une troisième vague ? Je ne sais pas. C'est très probable. Cette histoire n'est pas encore finie. Tout dépendra du vaccin, de son efficacité, de son acceptation par la population, de la politique vaccinale. Les gens vont retrouver peu à peu leurs libertés, bien qu'elles aient été moins limitées que précédemment. Et ils iront passer les fêtes de fin d'année en famille. Cela aura peut-être des conséquences sanitaires. Mais nous ne savons plus quoi penser de toutes ces règles. Depuis le début, je trouve très étrange de conditionner les règles de confinement au taux d'occupation des lits de réanimation. Comme si on s'autorisait à ce qu'il y ait des malades et des morts, mais pas trop non plus."  

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La consultation longue à 60 euros pour les patients de plus de 80 ans et/ou handicapés est-elle une bonne mesure ?

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