Deux sauvetages en montagne et une femme secourue de la noyade, l'été mouvementé d'un médecin en vacances

06/08/2020 Par Serge Rich
Témoignage
"Pas moyen d'échapper à ce métier!". Médecin ou carabin, vous êtes nombreux à avoir dû ressortir le stétho alors que vous profitiez de vacances bien méritées. Sur la plage, à la montagne ou dans l'avion : vous nous avez confié vos aventures.

  "C'était en montagne au mois d'août, nous avions entre 30 et 35 ans environ et faisions avec ma femme et un ami d'enfance le tour du Mont Perdu dans les Pyrénées, c'est le magnifique côté espagnol de l'autre côté du non moins magnifique cirque de Gavarnie. Je suis médecin généraliste et j'avais fait pas mal de services d'urgence au cours de mes études. Nous étions partis tous les trois sous un temps radieux, chargés pour une semaine de randonnée en haute montagne, le cœur léger mais le sac très lourd, 25 kilos pour le mien ! Avec tout le matériel et la nourriture pour 7 jours. Nous avons passé la deuxième nuit dans un coin enchanteur, dénommé fon blanca, juste en dessous du déversoir d'une grosse résurgence qui sortait du Mont Perdu, environ mille mètres plus haut. Heureusement très bonne nuit, sans orage, notre tente était très mal placée en plein au milieu de trois petits torrents, et il n'y avait pas de météo sur internet qui je crois bien n'existait pas encore, il fallait se débrouiller avec le feeling en regardant les nuages, le vent… Ce n'était pas toujours garanti ! Nous avons démarré le matin avec un temps magnifique dans le but de remonter vers la fameuse brèche de Roland, de camper avant d'y arriver, ou peut-être de faire l'ascension du Mont Perdu, selon l'état de notre forme, de la météo… C'est le côté espagnol, et plus nous nous approchions du refuge de Gaulis qui n'est qu'à un peu plus de deux heures des voitures pour un bon marcheur, plus nous étions surpris de voir un tas de gens avec des équipements très succincts, et notamment de jolies jeunes filles légèrement vêtues. "Orage gigantesque" En arrivant au refuge de Gaulis, qui est le refuge qui permet de faire plus facilement, en deux jours, l'ascension du Mont Perdu, nous avons vu qu'il était bondé de monde. Il y avait de nombreuses petites tentes éparpillées tout autour, il y avait des montagnards, des touristes, des enfants. Nous décidons donc de poursuivre notre route vers la brèche de Roland, tant pis pour le Mont Perdu qu'on aurait toujours l'occasion de faire une autre fois (en fait c'est à la septième tentative que j'ai pu en faire l'ascension, en raison ou de mauvaises conditions météo, ou d'erreur de cheminement ! ou d'acolyte pas du tout prêt à la haute montagne...) En continuant notre chemin, nous avons remarqué un nuage bien noir, tout petit, qui coiffait le Taillon, premier trois mille à l'ouest du cirque de Gavarnie. Nous nous sommes concertés avec ma femme qui sait regarder un ciel, et avons préféré revenir en arrière pour nous mettre en sécurité au refuge. A peine arrivés, un orage gigantesque comme je n'en avais jamais vu a déferlé sur le Mont Perdu, qu'il a recouvert en vingt minutes d'une épaisseur d'environ trente centimètres de grêle, sans parler des éclairs qui tapaient de tous les côtés. Nous avons vu tous les "montagnards" rappliquer au refuge en courant et en pleurant pour certaines, d'autres vieux briscards chauves qui rigolaient bien mais avaient de beaux hématomes sur leurs cranes lisses, nous avons vu de nombreuses tentes , deux sur trois environ, dilacérées par la grêle comme coupées au cutter, des gens qui en jaillissaient affolés dont un couple avec un enfant, des tentes traversées par des torrents sortis de nulle part, bref en quelques minutes le refuge s'est rempli et une foule se massait devant le refuge, dans l'impossibilité d'y rentrer. Au bout de trois minutes de ce déluge, la mule chargée de l'approvisionnement du refuge est arrivée seule complètement affolée et essayait, avec son gros chargement sur l'échine, de se faire un passage dans la foule pour se mettre à l'abri dans le refuge, son refuge. Puis la chienne du refuge aussi, complètement affolée bien sûr, a mis bas au milieu de cette foule six beaux petits chiots ! Un moment incroyable qui ne pouvait laisser que de bons souvenirs ! Des blessés Puis en même temps est arrivé un français complètement affolé demandant si quelqu'un avait une corde Il était avec un groupe de treize personnes dont plusieurs adolescents, coincés à 50 mètres derrière le refuge par un torrent d'une quinzaine de mètres de large, que tous les membres de son groupe, terrorisés, voulaient traverser pour se mettre à l'abri dans le refuge. Deux des jeunes espagnols qui tenaient le refuge traversant la foule avec un brancard au-dessus de leur tête criaient : un herido, un herido (un blessé, un blessé). Ma femme toujours prompte à m'envoyer au charbon, me dit : ça, c'est pour toi ! Ok je suis aussi le seul sur la centaine de personnes à avoir une corde, que je donne à mon ami pas du tout montagnard en lui expliquant qu'il doit lancer la corde de l'autre côté du torrent, les faire encorder chacun son tour, et leur faire traverser le torrent en les assurant. De mon côté je pars en courant derrière mes deux jeunes espagnols très courageux, ils sont deux cents mètres environ devant moi, ils courent plus vite que moi, ils sont plus jeunes, et je me retrouve devant un gros torrent qui doit faire quinze mètres de large, qui ne me plait pas du tout. Je suis seul, je vois que la distance est à peu près la même, donc j'en conclus qu'ils l'ont passé facilement et qu'il ne doit pas y avoir beaucoup d'eau. Je m'engage dans ce torrent, et effectivement cela passe sans problème, de l'eau un peu plus haut que les genoux seulement. Rebelote quelques centaines de mètres plus loin, même raisonnement, même passage de torrent, assez impressionnant mais plutôt facile. Je continue à courir tout seul dans la montagne, l'orage est en train de se calmer, puis je finis par arriver devant un énorme torrent, qui doit faire trente mètres de large, un jeune espagnol est coincé au milieu du torrent derrière une grosse pierre et tient dans ses bras une femme manifestement dans le coma. Un des deux jeunes espagnols est en train de le rejoindre, encordé et assuré par l'autre qui est au bord du torrent. Celui-ci m'explique que le jeune au milieu, c'est leur copain du refuge qui est parti patrouiller sous l'orage, avec un talkie-walkie. Il a vu cette femme au milieu du torrent, et est allé, seul et sans aucune assurance, la rejoindre, mais il n'a plus pu en sortir. Il m'explique que cette femme fait une "crise de nerf", mouais !! je pense même si elle est loin qu'elle est dans le coma. Il me dit que son fils est parti dans le torrent un peu plus bas. Je vais voir et cinquante mètres plus bas le torrent fait deux chutes d'une trentaine de mètres, j'en conclus que le fils est mort et que l'on va se concentrer sur le sauvetage de cette femme. Le deuxième espagnol rejoint les deux autres, puis moi aussi, encordé, puis nous sortons tous les quatre de l'autre côté du torrent, moins accidenté, avec la femme qui est effectivement dans le coma, dont j'ignore l'origine. Ils essayent de lui faire boire du cognac, je leur explique que ce serait dommage de la tuer après l'avoir sauvée avec autant de courage, surtout le premier. "Un homme est allongé près du torrent" En fouillant du regard les alentours, je trouve son sac à dos avec une tente roulée dessus, je prends cette tente et je l'enroule dedans en position latérale de sécurité, l'orage est terminé, il n'y a apparemment pas de risque à l'endroit où nous nous trouvons. Ils ont appelé l'hélicoptère des secours en montagne de Huesca, il n'y a plus qu'à attendre en espérant que son état ne s'aggrave pas. C'est en observant de nouveau les alentours que je repère deux cents mètres plus haut environ un homme qui est allongé près du torrent. Nous montons le chercher, il a le short aux chevilles, déchiré par l'eau du torrent, il est bleu de froid et d'hématomes dans les quatre membres, mais il est conscient et explique que quand l'orage a commencé ils ont continué à marcher vite pour rejoindre le refuge qui n'était plus très loin, mais qu'en traversant un tout petit ruisseau une énorme vague a déferlé sur eux et les a emportés. Lui a roulé dans le torrent et a finalement réussi à en sortir, il ne sait pas où est sa femme, il ne parle pas d'enfant, je lui demande s'ils n'étaient que tous les deux, et je comprends avec un immense soulagement que l'enfant, qui devait être mort, n'existait pas ! Nous attendons avec nos deux blessés l'hélicoptère qui mettra deux heures à arrive, avec un pilote et un sauveteur à bord. J'explique la situation médicale, la femme est toujours dans le coma, nous chargeons les deux blessés dans l'hélicoptère. Il n'y a plus de place pour le sauveteur qui doit redescendre au village à pied ! Et nous voilà remontant au refuge tous les quatre. Je suis éreinté, trempé jusqu'aux os, mes chaussures de montagne resteront trempées pendant deux jours, finalement je n'ai pas fait grand-chose d'autre que d'éviter qu'après l'avoir sauvée ils la noient dans le cognac. Je retrouve mon ami qui a sauvé tous les français, dont un adolescent de treize ans dont je n'ai plus pu me décoller pendant toute la soirée, je retrouve ma femme qui a managé tous ces gens sans sortir du refuge, trop maline ! Finalement alors que le refuge était bondé, mes trois compères espagnols nous trouvent une place pour dormir dans leur refuge, très mauvaise nuit, bruyante, ronflements, pets… Nous aurions finalement  mieux fait de dormir sous la tente, mais on était un peu insécurisés quand même ! Le lendemain nous apprenons par la radio du refuge (les téléphones portables n'existent pas) que la femme souffrait d'un coma hypothermique et de pas mal de contusions, mais elle allait beaucoup mieux. Nous repartons et rentrons dare dare à Gavarnie en passant la brèche de Rolland, où nous avons quand même pris le temps de regarder les inscriptions gravées dans la pierre qui relatent l'ascension en 1828 en chaise à porteurs de la duchesse de Berry ! Il n'y a pas eu d'orage ce jour-là ! Vingt-cinq ans plus tard, mon ami d'enfance qui fait de très nombreux et magnifiques voyages, a déclaré que c'était le plus beau voyage de sa vie !! Comme quoi ! En tous cas il était vraiment inoubliable ! Mais quinze jours plus tard, alors que j'étais à Messanges sur la côte landaise pour de tranquilles vacances avec mes trois filles et ma femme, nous avons remarqué avec ma femme six personnes qui semblaient curieusement partir à la nage vers le large. "Je rejoins mes filles pleines d'admiration pour leur héros de papa" Les sauveteurs sont montés sur leur scooter de mer et les ont ramenés l'un après l'autre sur la plage. Lorsqu'ils ont déposé le quatrième, qui était une femme, devant une foule compacte qui venait assister au spectacle, celle-ci s'est effondrée sur la plage, manifestement dans le coma. Ma femme qui avait bien observé tout cela, m'a suggéré d'aller voir ce qui se passait. Il n'y avait peut-être pas de médecin dans tous ces badauds. Effectivement j'y vais, je dis aux sauveteurs que je suis médecin, est ce que cela vous intéresse, oui oui venez vite. En fait cette femme est dans le coma, elle a inhalé, elle est cyanosée, elle n'est pas en arrêt cardio respiratoire, ils n'ont pas l'oxygène sur la plage. Ils la chargent sur le plateau du 4x4 sur lequel je monte aussi, j'essaye de la maintenir tant bien que mal en position latérale de sécurité, mais les CRS sauveteurs remontent tellement vite la dune que j'ai failli en tomber, ainsi que la blessée ! Nous arrivons quand même vivant au poste de secours, où l'oxygène l'améliore très vite, elle sera transférée rapidement par hélicoptère à l'hôpital de Mont de Marsan. J'ai lu dans les journaux qu'elle s'en était très bien remise. Après cette remontée sportive, je rejoins ma famille, mes filles pleines d'admiration pour leur héros de papa, puis nous remontons peu de temps après pour rentrer à notre location. Ma voiture était mal garée et le CRS avec qui j'avais fait cette folle remontée était en train de mettre un PV sur mon pare-brise ! Il est vrai que je n'étais pas très bien garé, et quand je lui ai fait remarquer qu'il ferait mieux de verbaliser la voiture à côté qui était sur une place d'invalide sans macaron, et qu'aussi il manquait quand même de reconnaissance, il ne m'avait même pas reconnu, ce qui a quand même choqué mes filles, après un tel "exploit" devant toute cette foule inutile. Il ne m'a quand même pas mis ce fameux PV, je me demande encore s'il ne croit pas que ce n'était pas moi dans ce 4x4. Et voilà un été mémorable de médecin en vacances !! Pas moyen d'échapper à ce métier ! Mais ça a été de très belles vacances, et vraiment inoubliables."

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Les négociations conventionnelles entre les médecins et l'Assurance maladie doivent-elles reprendre?

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