L'auteur du "Lambeau" témoigne avec les chirurgiens qui l'ont reconstruit

09/11/2018 Par Catherine le Borgne

"Le lambeau" (Ed. Gallimard), lauréat de deux grands prix littéraires cette semaine ainsi que du prix Jean Bernard de l'Académie de médecine, met en lumière les "gueules cassées" d'aujourd'hui dans une société beaucoup moins tolérante vis-à-vis du handicap que celle de la Grande guerre. Des spécialistes de chirurgie faciale viennent d'en discuter au cours d'une table ronde avec Philippe Lançon, l'auteur du livre, rescapé des attentats de Charlie Hebdo. "Le visage, c'est l'endroit qui sourit, qui mange, qui embrasse, toute la vie change (si on est défiguré), dans le sens où elle est suspendue au visage", a témoigné Philippe Lançon. Diction parfaite, courte barbe poivre et sel dissimulant les cicatrices, l'auteur du "Lambeau" a retrouvé un visage, bien que très différent de celui qu'il avait avant l'attentat de Charlie Hebdo, où une balle lui a arraché toute la mâchoire inférieure. "Le désir de nos patients n'est pas forcément d'être beau, mais surtout de passer inaperçus", a témoigné sa chirurgienne Chloé Bertolus, l'un des personnages centraux de son livre. Très tôt, elle a eu l'idée de l'inviter à témoigner. "Alors que Philippe Lançon était encore sur son lit d'hôpital, déjà nous savions que cet homme aurait la distance pour raconter cette pièce dont il était à la fois l'acteur et le spectateur", dit-elle. Le professeur Patrick Goudot, le "Professeur G" du livre, l'a remercié de "raconter pour la première fois l'autre côté du miroir. Ce sont des gens qu'on ne voit jamais, Philippe a raconté des choses que les autres ne nous disent pas". La défiguration est "très difficile à montrer, elle fait peur" et contrairement à la fiction ("La Chambre des Officiers", "Au revoir là-haut", qui portent sur la Première guerre mondiale...) le documentaire s'en empare rarement, a observé Didier Cros, auteur de "La disgrâce" autour du témoignage de cinq défigurés du visage, qui passera à la rentrée sur France 2. Pour le professeur Patrick Goudot, si les défigurés se cachent, c'est que "leur cause est différente des gueules cassées", qui avaient suscité un élan populaire après la Grande guerre.   Crainte d'être un monstre Beaucoup sont défigurés à la suite d'une tumeur de la face ou de cancers de la sphère ORL, une "cause difficile à porter", selon le Professeur Goudot. "Les cancers de la cavité buccale ne sont pas tous liés au tabac ou à l'alcool, mais dans le regard de l'autre, le cancer est une punition". "La chance que j'ai eue est multiple", a reconnu Philippe Lançon : "ma blessure signifiait l'attentat, avec un aspect symbolique, politique, qui inspirait une compassion immédiate. Deuxième chance, mon entourage au sens large, qui m'a fait peu sentir le regard sur la défiguration, et troisièmement, j'ai décidé d'ignorer cela". Il reconnaît que "l'écriture a eu une vertu thérapeutique, quand j'étais encore dans le service de chirurgie maxillo-faciale de la Pitié-Salpêtrière et que j'écrivais mes chroniques pour Charlie Hebdo". Les chroniques "me redonnaient un visage par l'écrit". "De la même façon que Chloé essayait de réduire la plaie avant la greffe, moi je m'acharnais à cautériser ce trou, à me reconstituer un visage mental". "La crainte d'être un monstre était compensée par le fait que les gens pouvaient lire mes textes" dit-il. La chirurgie maxillo-faciale a fait d'immenses progrès depuis sa naissance au début du 20e siècle, mais reste mal connue, avec seulement 1.100 spécialistes en France. La table-ronde de mercredi dernier et une exposition de photographies jusqu'au 14 décembre dans la Chapelle de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière visent à mieux la faire connaître. Bernard Duvauchelle, qui a réalisé en 2005 à Amiens la première greffe complète de la face sur Isabelle Dinoire, a rappelé qu'"aujourd'hui, la chirurgie ne se contente pas de combler un trou, mais va restituer une fonction, des sensations. Toute la difficulté est là". Pour retrouver les sensations après une quinzaine d'interventions et plusieurs greffes, Philippe Lançon fait encore aujourd'hui deux fois trente minutes d'exercices par jour. "C'est un mouvement perpétuel, chaque jour il se passe quelque chose", dit-il. [Avec AFP]

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