Pr Axel Kahn : "Le défi, c'est de surmonter les obstacles que rencontre l'immunothérapie"

03/07/2019 Par A.M.
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Ancien président du Conseil consultatif national d'éthique, spécialiste de génétique moléculaire, le Pr Axel Kahn a été élu vendredi président du conseil d'administration de la Ligue contre le cancer, premier financeur privé de la recherche. Chronicisation de la maladie, prix des nouvelles thérapeutiques… Pour Egora, il fait le point sur les défis du cancer.   Egora.fr : Vous venez d'être élu président de la Ligue contre le cancer. Quels sont les défis qui vous attendent ? Pr Axel Kahn : Aujourd'hui, il y a 387 000 détections de cancers tous les ans et environ 187 000 décès liés. La fréquence des cancers a déjà augmenté, en lien avec plusieurs phénomènes : le vieillissement de la population, l'augmentation -impressionnante- du cancer du poumon chez les femmes, mais aussi l'obésité, les perturbateurs endocriniens et sans doute d'autres facteurs sur lesquels il convient de travailler. Mais grâce aux progrès de la thérapeutique, la mortalité n'augmente pas. Toutes les statistiques indiquent que, parmi les personnes qui naissent, une sur deux développera un cancer. Le défi est considérable. C'est un défi scientifique, mais aussi de prévention pour tous les cancers qui ont des causes détectables : améliorer l'éducation à la santé, et faire en sorte que les messages soient entendus. Je ferai en sorte que la Ligue consacre une partie de ses moyens pour financer des recherches en sciences humaines et sociales afin de caractériser cette manière d'accéder aux personnes cibles des messages de santé. Il faut que la Ligue accompagne les avancées scientifiques actuelles. Elle est le principal intervenant non gouvernemental dans le soutien de la recherche dans les cancers. Elle doit permettre que des "perles" porteuses de promesses en recherche soient identifiées. Qu'une piste qui semble prometteuse puisse être explorée, c'est là la grande spécificité de la Ligue et ses partenaires. Autre très grand défi : compte tenu de la prolongation de la durée des soins en cancérologie, les malades sortent de plus en plus rapidement de l'hôpital. Il faut améliorer considérablement les systèmes qui prennent le relais, en ville. Il existe un nombre croissant de cas où les traitements ont permis d'éviter une issue fatale, mais n'ont pas guéri la maladie : nombre de cancers passent à un stade chronique. Qu'en est-il des projets de vie des malades ? Comment les accompagner? D'autres défis touchent à l'accès aux traitements les plus onéreux, notamment pour les populations pour lesquelles la protection sociale est défaillante. Sans oublier les cancers pédiatriques, qui restent une préoccupation. Voilà quelques-uns des défis du cancer, et de la Ligue.   Quelles sont les pistes les plus prometteuses en matière de recherche ? Je vais rappeler les trois grandes phases de la progression de la thérapie cancéreuse. La première, il y a quelques décennies, grâce aux essais contrôlés, à l'EBM, a consisté en une amélioration croissante de l'utilisation de la radiothérapie, la chirurgie et la chimiothérapie. Dans le domaine du cancer du testicule ou de la maladie de Hodgkin, notamment, de beaux progrès ont été réalisés. Deuxième phase : la thérapie ciblée du cancer. On a pu, enfin, utiliser les progrès faits dans la caractérisation des cibles de la cancerisation et de la progression cancéreuse, notamment les oncogènes, en développant des molécules chimiques ou des anticorps. Le traitement de la leucémie myéloïde chronique par l'imatinib mesylate est un exemple emblématique. Cette maladie autrefois fatale en 4 ans à partir du diagnostic est aujourd'hui, en règle générale, maintenue en rémission complète par la prise d'un comprimé à des doses de plus en plus faibles. Nous sommes à la troisième phase Depuis George Mathé, et d'autres, on sait que l'immunothérapie est une piste prometteuse. Très tôt, il a présenté cette idée selon laquelle les cellules cancéreuses n'étant pas identiques aux cellules normales, elles devaient déclencher une réaction de type immunologique. Pendant au moins 30 ans, il faut reconnaître que cette approche a été dite prometteuse… et puis on s'est détourné, car les promesses n'étaient pas tenues. Dans les 4-5 dernières années, l'immunothérapie a commencé à tenir toutes ses promesses. Avec la compréhension de la raison pour laquelle la réaction immunitaire contre l'étrangeté des cellules cancéreuses n'était pas suffisante pour rejeter le cancer : ces cellules désactivent les défenses immunitaires des lymphocytes anticancéreux, c'est l'activation de système inhibiteur. Le premier groupe de traitements nouveaux, ce sont les inhibiteurs des inhibiteurs de la réponse immunitaire ; ils permettent aux cellules immunitaires de l'organisme de manifester tout leur pouvoir. Des résultats importants ont été obtenus, dans le mélanome par exemple. Le deuxième groupe, ce sont les cellules génétiquement modifiées, les CAR-T cells, dans lesquelles on a entré un récepteur hybride contre l'antigène, dérivé de l'immunoglobuline, que l'on a couplé avec le système endocellulaire d'un lymphocyte tueur de cellule. Lorsque la partie anticorps de la cellule génétiquement modifiée reconnaît un antigène spécialiste d'un cancer, par exemple dans les leucémies de type B, la cellule est activée et la réaction anticancéreuse se manifeste à plein avec un excellent résultat. Evidemment, on rencontre des difficultés. On se dit que si on peut trouver un antigène spécifique de tous types de tumeur, cette méthode pourrait être généralisée. Malheureusement, les cancers solides sont des cancers pour lesquels il est difficile aux cellules immunitaires d'entrer, du fait du développement de la fibrose, de la faible vascularisation. Le défi, c'est de surmonter les obstacles que rencontre l'immunothérapie : développer des molécules, des antigènes et trouver le moyen de leur permettre d'accéder au cœur de tumeurs massives peu vascularisée et fibreuse.   Sans oublier le coût de ces nouvelles thérapies, en particulier des CAR-T cells… Médecins du Monde a dénoncé hier le prix du Kymriah de Novartis : 320 à 350 000 euros. Comment concilier l'accès aux soins et la soutenabilité du système de santé français ? C'est un sujet sur lequel le comité éthique et cancer que j'ai présidé a prononcé un avis. Nous notions que globalement, le prix des molécules nouvelles, exorbitant, avait été en partie compensé par la diminution d'autres médicaments. Si l'on regarde le prix global des dépenses de médicaments, on ne voit pas d'inflation. Le problème des CAR-T cells est nouveau. C'est une thérapeutique "à la carte" et il est difficile d'imaginer qu'elle soit très bon marché. Elle pourrait être moins cher, mais elle restera très cher. Dans certains cas, le médicament est fait pour un malade donné. La question est plus celle de la soutenabilité du système de protection sociale, et des personnes qui sont hors de la protection sociale (réfugiés, pays sous-développés…). Le prix de ces thérapeutiques "à façon" peut tout déstabiliser. Il faut rester sur un système solidaire. C'est une question compliquée : on est à l'interface entre le prix réel et les systèmes de position dominante dans une économie de marché. Le débat n'est pas près de s'apaiser. Si le pire a été évité, il n'est pas sûr qu'il soit durablement évitable.

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