"Je ne voulais pas me résumer à n’être 'que' handicapé" : tétraplégique après un accident, cet étudiant va devenir médecin

20/11/2021 Par P.M.
Portrait
En 2013, Clément Jean, qui allait rentrer en quatrième année de médecine, est devenu tétraplégique. Pas de quoi pour autant contrarier son avenir professionnel. Soutenu par son entourage, il a repris ses études et exercera en tant que radiologue dès l’an prochain. Portrait.

“Peut-être que, ce jour-là, j’aurais mieux fait de rester couché… De regarder des séries, plaisante Clément Jean. Mais voilà… Les accidents, comme bien souvent, sont imprévisibles. Parce que si on les voyait venir, on ferait forcément un pas de côté pour les éviter.” Il n’a pas du tout vu venir cet accident. Ce samedi 3 août 2013, le jeune étudiant en médecine, alors âgé de 21 ans, avait un tout autre programme qu’une “soirée séries”. Il avait prévu d’assister à la fête du lac d’Annecy avec des amis.  

Ce qui devait être un événement joyeux ne s’est pas du tout déroulé comme prévu. “Le lac d’Annecy, c’est un endroit que je ne connaissais pas. J’ai plongé la tête la première. Il n’y avait pas de fond. Je me suis cassé les cervicales. La moelle épinière a été endommagée”, raconte-t-il sobrement, sans rentrer dans plus de détails. Cet accident de plongeon s’inscrira comme “l’un des plus gros bouleversements de [sa] vie”, lâche-t-il. “J’espère ne pas en connaître d’autres comme celui-là.”

 

“Le temps permet de faire son deuil de la vie d’avant” 

Les vertèbres C5 et C6 ont été fracturées. “J’ai vite fait le diagnostic : je ne pouvais plus bouger les membres, je n’avais plus de sensibilité”, se souvient-il. Certes, au début, “c’est toujours un peu flou sur les tableaux neurologiques post-traumatiques. Mais on voit rapidement, au cours du mois qui suit, qu’il n’y a pas de récupération fonctionnelle. Que ce n’est pas lié à une étape de sidération médullaire, et que ce sont donc bien des lésions traumatiques de la moelle.” Clément Jean est désormais tétraplégique. La lésion médullaire est complète, selon l’échelle de déficience de l’Asia (American Spinal Injury Association). Aujourd’hui, il a “quand même la mobilité des épaules et du biceps, précise-t-il. Mais tout ce qui est en distalité, je n’y ai pas accès. Je ne peux pas, par exemple, bouger activement les doigts ou fléchir le poignet.”

L’étudiant, qui vient de terminer sa troisième année de médecine à Grenoble à l’époque de l’accident, saisit très vite ce qu’implique cette nouvelle donne. Mais s’il était, du fait de son statut, “un peu plus dans la partie” que d’autres patients, et donc plus à même de comprendre ce qui lui arrivait, Clément Jean soutient que pour toute personne dans son cas, “le constat reste quand même assez simple et évident”. En résumé : la vie ne sera plus comme avant. L’appréhender est “un cheminement assez personnel, chaque parcours est différent”, remarque-t-il. “Au début, il y a forcément une étape un peu compliquée, il faut accepter de...

poursuivre sa vie différemment, et cela se fait de manière assez progressive. Le temps permet de faire son deuil de la vie d’avant, comme c’est le cas pour un deuil classique.”  

 

“'Je suis handicapé’, je trouvais ça réducteur” 

“C’est un sacré virage à prendre… admet Clément Jean. Mais il y a encore un long bout de chemin à faire derrière”, pose-t-il, pragmatique, à huit ans de distance de l’accident. Dès le départ, le jeune homme s’est dit qu’il fallait continuer à vivre : “En fait, je ne me suis pas posé trop de questions. C’était plus de l’instinct que de la réflexion. Cela me paraissait évident de ne pas m’arrêter là et d’essayer - même si pas mal de choses ne fonctionnaient plus - de tirer le meilleur parti des fonctions qui me restaient.” Continuer à vivre, et à s’épanouir, cela passait notamment, pour lui, par la poursuite de son investissement professionnel. “C’est important, je pense, pour des gens souffrant de handicap, de garder un pied dans l’univers professionnel autant que faire se peut, juge-t-il, soulignant la place donnée au travail dans la sphère sociale. Quand on rencontre des individus, très rapidement la question ‘que fais-tu dans la vie ?’ arrive. Personnellement, je me voyais mal répondre : ‘Je suis handicapé, et toi ?’ Je trouvais ça extrêmement réducteur. Je ne voulais pas me résumer à n’être ‘que’ handicapé’.” 

L’étudiant en médecine est toutefois pleinement conscient que “des fois, c’est compliqué. Par exemple, si j’avais été charpentier avant mon accident… Il aurait fallu que je fasse autre chose.” Pour lui, reprendre médecine là où il avait arrêté, c’est-à-dire à l’orée de la quatrième année, était en revanche tout à fait faisable. “Je n’avais qu’à poursuivre quelque chose que j’avais déjà entrepris. Et comme, en plus, j’aimais ce que je faisais, je ne voyais pas l’intérêt d’aller voir ailleurs.” Il sera donc bien médecin, et ce même si, à l’origine...ce n’était pas le projet, se souvient-il en riant : “Je n’étais pas très assidu sur le plan scolaire, je ne comptais pas faire des études à rallonge… Comme quoi...” Lui qui s’était inscrit en Paces pour devenir kiné s’est finalement bien volontiers laissé happer, passionné par “la machinerie du corps humain”.  

“J’aime bien aller au fond des choses”, confie-t-il. Alors après un an en centre de rééducation, il retrouve la fac. “C’était le bon timing !” assure-t-il, ajoutant n’avoir jamais vraiment coupé. Il confesse même avoir “fait une petite tentative pour passer les partiels durant l’année de rééducation. Mais c’était plus pour le fun que dans l’idée de m’y remettre vraiment sérieusement !”   

 

“La radiologie s’est vite imposée, mais pas par défaut” 

L’étudiant a néanmoins dû s’adapter, “changer son fusil d’épaule”, concernant son choix de spécialité. Avant l’accident, il se voyait bien exercer en médecine générale, dans les îles, comme il pratiquait la plongée sous-marine et le parapente. Ce qui l’attirait, c’était le côté médecin de famille, la proximité avec la patientèle… et puis aussi, dit-il, il ne se voyait pas se transformer en “machine de guerre” pour obtenir une spécialité plus demandée à l’issue des ECN. Après l’accident, il s’est très vite heurté au principe de réalité, ayant des difficultés à réaliser des examens cliniques. Exit, donc, la médecine générale, il lui fallait trouver une voie...

“dans laquelle j’étais le moins bloqué par le handicap”.  

La révision de ses aspirations, il ne la voit alors pas “comme une problématique”, mais comme une question “d’opportunités et de perspectives”. Au fur et à mesure des stages, - en médecine nucléaire, en radiologie, en psychiatrie -, ses options se précisent. “Ce qui m’intéressait surtout, c’était la mécanique du corps, davantage que celle de l’esprit. La radiologie s’est vite imposée comme un choix...et pas un choix par défaut finalement, parce que j’y trouve mon compte, et parce que cette discipline est passionnante. Je ne regrette pas du tout.”

Maintenant qu’il a soutenu sa thèse, il ne lui reste plus qu’un an à faire - en tant que docteur junior dans un service de neuro-imagerie à Grenoble -, avant d’exercer. Il se verrait bien “si possible”, hospitalier, “si j’arrive à avoir un poste !”. “Oui, j’envisage bien de rester à l’hôpital, poursuit-il. Moi j’y crois, au système hospitalier”. Il songe à orienter sa pratique dans le domaine de l’imagerie du système nerveux. Aura-t-il besoin d’aménagements dans son exercice futur ? “Finalement, très peu, explique Clément Jean. Juste un bon logiciel de reconnaissance vocale pour dicter les comptes-rendus.” C’est plutôt lui qui s’adapte aux différents postes que l’inverse, note-t-il. Et ça fonctionne très bien ainsi.  

 

“Dans le mood actuel, je suis plutôt en mode futur papa” 

Clément Jean, 29 ans désormais, observe le chemin parcouru ces huit dernières années avec beaucoup d’humilité. “Moi, ce que je retiens de tout ça, c’est la chance que j’ai eue d’avoir été entouré comme je l’ai été. Si mon parcours sort un peu du lot, si j’ai pu soutenir ma thèse, vivre des expériences comme le fait de faire du parapente, c’est parce que j’ai été épaulé. Tout seul, je n’aurais rien fait, estime-t-il. Je ne dis pas cela pour faire le modeste, mais parce que c’est honnête. Je n’aurais pas eu l’énergie, peut-être même pas l’idée, de faire tout ce que j’ai entrepris.”  

Derrière cette “victoire collective”, tant sur le plan personnel que professionnel, il y a “énormément de personnes”. La fac de médecine de Grenoble, par exemple, “a fait tout ce qu’elle pouvait faire pour me faciliter la tâche et me permettre de poursuivre mon cursus dans les meilleures conditions. Ils m’ont notamment permis de choisir plus aisément mes stages pour que je puisse trouver ma voie, voir là où je me sentais à l’aise ou pas. Ils ont aussi fait des travaux d’accessibilité”, explique-t-il. Ses chefs, “dans leur extrême bienveillance”, ont même parfois été trop prévenants, raconte-t-il, reconnaissant : “Quand ils ont vu que j’étais attiré par la neuro-imagerie, ils m’ont demandé : ‘ça ne risque pas de te faire quelque chose de voir des traumas de moelle ?’. Mais non. Que ce soit un trauma de moelle, un cancer ou un Hodgkin, c’est bien sûr toujours triste pour le patient. Mais moi je reste un professionnel, un médecin.”  

Derrière cette victoire collective, il y a aussi, bien sûr, “le soutien indéfectible” de la femme qui partage sa vie, de sa famille, de ses amis, camarades de promo… Des amis de ses parents, par exemple, ont fondé une association - Waterproof Tetra Family - pour lui apporter un soutien moral et financier et lui permettre de gagner en autonomie. “Ils m’ont financé pas mal de choses, très onéreuses : un fauteuil tout terrain, un vélo à bras… et dernièrement, une voiture adaptée.” “Si j’ai eu une grande chance dans tout ce malheur, c’est d’avoir bénéficié de cet entourage-là”, résume-t-il. Et cet entourage va bientôt s’agrandir… Car s’il devait se définir aujourd’hui, Clément Jean mettrait d’abord en avant la facette “futur papa”. “Dans le mood actuel, je suis en effet plutôt en mode “futur papa”, se réjouit-il. Un autre gros bouleversement dans sa vie. Pour le meilleur, cette fois.  

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