Raoult, désaveu des généralistes, dépistage... Douste-Blazy étrille la gestion de la crise Covid

28/10/2020 Par Marion Jort
Dans un livre au vitriol paru aux éditions de l’Archipel le 22 octobre, l’ancien ministre des Affaires sociales et de la Santé (1993-1995 et 2004-2005) Philippe Douste-Blazy livre son analyse de la gestion de la crise du Covid. De l’hydroxychloroquine à la stratégie française de dépistage, en passant par l’implication de la médecine de ville et le Pr Raoult, “Maladie Française : Pandémie, et pourtant tout avait été préparé” revient sur le “temps de retard permanent” et la “grande improvisation” autour de l’épidémie. Lui-même auteur d’un plan de lutte contre une pandémie virale, l’ex-ministre se confie à Egora. 

  Egora.fr : Vous avez été ministre des Affaires sociales et de la Santé à deux reprises sous Jacques Chirac et avez également connu des crises sanitaires, pourquoi avoir écrit cet ouvrage ?   Philippe Douste-Blazy : D’abord, parce que la crise sanitaire que nous sommes en train de vivre montre à quel point nous étions impréparés dans notre pays, mais également au niveau de la communauté internationale. Et donc, il est absolument majeur dans n’importe quelle crise, de tirer les leçons de ce qui pourrait apparaître comme des insuffisances. La deuxième chose c’est qu’en 2004, quand j’étais ministre des Affaires sociales et de la Santé, j’ai proposé au président Chirac d’écrire un plan de lutte contre une pandémie virale. C’était après l’épidémie de Sras en Chine, qui était un départ de feu qui s’est arrêté spontanément mais qui avait un taux de mortalité et de contagiosité important, comme le MERS. Il y avait là pour moi une véritable obsession de se dire “en termes de santé publique, nous ne sommes pas prêts à faire face à une pandémie virale”. Nous avons donc écrit ce plan en 2004 avec le Pr Anne-Claude Crémieux, qui était à mon cabinet et qui est aujourd’hui professeur d’infectiologie à Saint-Louis. Ce plan était très concret, tout était écrit : arrêter les avions qui viennent des zones les plus touchées, réquisition des industries textiles pour faire des masques, stockage de masque, etc. Ce que l’administration française a sur faire, elle a aussi été la première à l’ignorer entre 2012 et 2015 au point que nous n’étions pas prêts en février 2020.    Vous semblez nourrir beaucoup de regrets à propos de ce plan, compte tenu de la situation actuelle…  En réalité, le Gouvernement actuel ne pouvait rien faire parce qu’entre le moment où moi j’étais ministre des Affaires sociales et de la Santé et le moment où ce Gouvernement a été nommé en 2017, nous étions dans des situations très différentes. A titre d’exemple, nous sommes passés d’un 1,7 milliards masques en 2011 à 115 millions en 2017. Tout ce qui avait été fait, y compris l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus), avait pratiquement disparu tel qu’il avait été conçu. D’ailleurs, Edouard Philippe dans son audition à l’Assemblée nationale la semaine dernière a dit : “entre juin 2017 et le 15 janvier 2020, personne ne m’a parlé de masques”. 

  L’action du Gouvernement d’Emmanuel Macron a-t-elle été assez efficace ?  Il y a une chose sur laquelle tout le monde s'accorde aujourd’hui dans tous les pays du monde et parmi tous les scientifiques du monde : il y existe une corrélation extrêmement forte entre un dépistage massif et le taux de mortalité. C’est d’ailleurs comme cela qu’on explique la différence de situation entre l’Allemagne et la France, puisque la stratégie qui consiste à dépister massivement n’a pas été retenue par les Français et le résultat, c’est que le taux de mortalité est quatre fois supérieur à l’Allemagne. On peut aussi le dire sur un plan régional : à Marseille, où il y a eu un dépistage massif qui a été décidé et mis en place par l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille et par l’IHU Méditerranée, vous n’avez pas aujourd’hui et ce sont des chiffres officiels, de surmortalité entre mars et juin.    A vos yeux, il fallait miser sur cette politique de dépistage pour sortir de la crise ?  Oui, il fallait faire un dépistage massif ! Car dans ce cas, vous trouvez des malades plus précocement et vous avez donc devant vous des malades précoces. Or, nous savons aujourd’hui qu’il y a quatre phases dans la maladie, dont la première est une phase purement virale. Quand vous voyez les gens très tôt, bien évidemment, vous ne les laissez pas se contaminer entre eux, on peut leur prendre la température, le taux de saturation d’oxygène, on peut leur donner des médicaments antiviraux, que ce soit l'azithromycine ou l'hydroxychloroquine ou un autre antiviral. Le plus important, c’est la prise en charge médicale, pas tant le médicament. De plus, si on avait dépisté plus précocement, on aurait tout de suite eu les médecins généralistes libéraux de ce pays qui auraient pu s'occuper des malades alors qu’ils ne voyaient personne à ce moment. C’est donc la clé de voûte du premier acte de la maladie. 

  Pourquoi cela n’a pas été fait selon vous ? Le ministère de la Santé est hyper centralisé, hyper administré. Il n’y avait que quelques appareils RT-PCR qui étaient référencés et utilisés, même si d’autres existaient et que nous aurions pu nous en servir… Mais aujourd’hui, une personne qui outrepasse une directive ministérielle peut être poursuivie. Donc personne n’a osé dans ce ministère dire qu’il existait des machines non référencées. Il a été dit que ce seraient uniquement les machines référencées dans les centres hospitalo-universitaires qui pouvaient le faire.    Le confinement entre mars et mai, dont il est à nouveau question dans le cadre de la deuxième vague, était-il une bonne idée ? Regardons l’Allemagne : ils n’ont pas du tout fait de confinement strict. Ils ont permis aux gens de continuer à aller travailler. Et malgré ça, ils ont moins de mortalité, grâce à leur politique de dépistage. Au moment où la décision de confiner a été prise en France, il fallait le faire. Toutefois, il faut aussi se demander pourquoi est-ce que nous en sommes arrivés là.  A l’inverse de ce que j’avais demandé personnellement pour le contact tracing, c’est-à-dire de mettre en place des équipes mobiles médicales avec des médecins libéraux, avec des équipes de la réserve sanitaire pour aller chez les gens et leur proposer de se faire tester et leur donner les réponses en 24h, ce sont des équipes de l’assurance maladie qui s’en occupent. Mais avec des médecins, nous aurions vu tout de suite les cas positifs, nous aurions pu les isoler et prendre en charge médicalement. Ça aurait pu éviter tous les clusters qui existent et cassé les chaînes de contamination.   

Les délais d’attente pour se faire tester sont toujours longs, tous les laboratoires ne parviennent pas à donner les résultats en moins de 24 heures. Quel regard portez-vous sur la politique de dépistage actuelle ?  Elle ne sert strictement à rien. Entre les délais pour avoir un rendez-vous de test et les délais pour avoir les résultats, la personne n’est pratiquement déjà plus contagieuse et surtout, elle a contaminé plein de personnes autour d’elle. Ce n’est pas possible de continuer cela. La seule solution en France, c’est de mettre en place les fameuses machines RT-PCR qui existent à Marseille et donnent les résultats en 20 minutes, ou alors prendre les tests antigéniques mais passer par les médecins généralistes, les infirmières, les pharmaciens. Si on ne fait pas cela, on se retrouve comme c’est le cas actuellement avec une augmentation de 40% de l’incidence de la maladie en une semaine.    Vous parlez des généralistes, vous avez été à l’origine du statut de médecin traitant, ont-ils été les grands oubliés de cette crise ? Le médecin traitant est la poutre maîtresse du système de santé français. Malheureusement, le ministère n’a parlé que de l’hôpital. Les taux de mortalité que l’on voit dans le monde, dépendent de la capacité d’avoir pris en charge médicalement les malades au début de la crise. On a parlé du dépistage massif… Mais ça ne se fait pas sans les médecins libéraux. Au début de la crise, certains disaient presque qu’il ne fallait pas dépister les patients, parce que s’ils étaient positifs, ils allaient aller à l’hôpital et s'ils y allaient, ils allaient contaminer du monde. Mais alors, si on n’en veut pas à l’hôpital et qu’on les laisse chez eux, c’est le contraire de la médecine. Parce que la médecine, c’est justement de soigner les gens.    Face à cette deuxième vague importante, le retour des malades chroniques dans les cabinets et à l’hôpital… Comment suggérez-vous qu’il faille s'organiser ?  Les médecins doivent tester dans leurs cabinets. Je ne comprends pas pourquoi les médecins ne sont pas aujourd’hui ceux qui peuvent tester. Je ne comprends pas pourquoi le généraliste n’est pas en première ligne, ni les infirmières et tous les professionnels de ville. C’est la seule solution pour enrayer cette épidémie. D’autant que quand on envoie des équipes administratives faire le contact tracing, la personne qui déclare ses cas contacts donnait en moyenne 4,5 personnes au début de l’épidémie… Maintenant, c’est deux.    Vous voulez dire que le médecin à l'avantage du secret médical ? Evidemment. C’est notre métier de parler avec les patients, les mettre en confiance. C’est un rapport de conscience et de confiance.   

  Dans votre livre, un chapitre entier est consacré à l’hydroxychloroquine. Pourquoi revenir sur dessus alors que la semaine dernière encore, l’ANSM a refusé d’étendre son utilisation, estimant qu’elle n’avait pas encore assez de preuves de son efficacité ? J’ai fait un chapitre le plus objectif possible. Il y a eu une hystérisation de l’utilisation de ce médicament. En réalité, il y a eu deux phénomènes : d’abord, personne ne parlait de la même période de la maladie. On ne peut pas comparer des malades qui sont au quatrième jour de la maladie et des malades qui sont au quatorzième jour de la maladie avec une phase inflammatoire. Ce sont deux malades différents. Ensuite, il y avait ceux qui disaient “les études observationnelles ne sont pas bonnes, il faut des études randomisées”. Pour bien comprendre, dans le cadre par exemple d’une étude sur l'hypercholestérolémie, vous avez le temps, un an deux ans, pour faire une phase 3. Mais quand vous êtes dans une phase aiguë, ce n'est pas facile. Cependant, je comprends très bien ceux qui disaient qu’il manquait une phase contrôle. J’essaie de diminuer la tension là-dessus pour expliquer que ce qui n’est pas normal qu’il y ait des publications dans des plus grandes revues mondiale  qui aient dit des choses fausses.    Vous faites référence au “LancetGate”? La justice américaine, et même européenne, devra conduire des enquêtes extrêmement précises pour savoir qui a payé des études comme celle-là. Je suis, comme mes confrères, extrêmement sensible à ce qui est écrit dans les grandes revues médicales. C’est ainsi que nous nous formons. Remettre en cause cela est très grave.   

  L’infectiologie et directeur de l’IHU Méditerranée, le Pr Didier Raoult, signe la préface de votre livre. Pourquoi lui laisser ces pages d’ouvertures, alors que son traitement ne fait pas consensus ? Ce qui m’intéresse chez n’importe quel médecin, c’est son côté médecin. Que des personnes aiment ou n’aiment pas la personnalité d’untel ou untel n’est pas mon sujet dans ce livre. Mon sujet, c’est que le Pr Raoult est à la tête d’un des plus prestigieux centres de lutte contre l'infection au monde, que je suis contre le fait qu’on ne dépiste pas massivement tout comme l’a fait le Pr Raoult. D’ailleurs, il n’y pas une personne en France qui ne lui donne pas raison dans le fait de dépister massivement. C’est donc l’une des raisons pour lesquelles je lui ai demandé de préfacer le livre. J’estime que le débat s’est tourné autour de polémiques alors que le vrai sujet c’est qu’il a pris en charge médicalement des malades après les avoir dépistés. C’est comme cela qu’il fallait faire au niveau français.    Mais le débat n’a pas tourné qu’autour de sa personnalité… Des études ont aussi remis en cause l'efficacité de l’hydroxychloroquine dans le traitement du Covid.   C’est pour ça qu’il serait intéressant d’avoir du temps devant nous : le juge de paix, c’est la mortalité mais c’est aussi le temps, qui permettra d’y voir plus clair. La seule chose qui compte, ce sont des études qui méthodologiquement, sont bien faites. Hormis la méthodologie, il ne faut parler que de malades comparables. Si vous parlez dans une étude des personnes qui sont uniquement en phase hospitalière en réanimation, c’est tout à fait normal que l’HCQ ne fonctionne pas. A l’inverse, si vous prenez des personnes qui sont tout à fait au début, encore une fois, même si ce n’est pas l’HCQ mais un autre antiviral, on a vu des résultats qui étaient publiés dans différents pays du monde.
La deuxième chose, c’est qu’il commence à y avoir un consensus sur certaines études rétrospectives, en essayant de trouver méthodologiquement des malades très comparables en début de phase. Mais ce n’est pas à moi de le dire, je ne peux pas entrer dans la polémique.   

  Dans votre livre, vous plaidez pour qu’il soit “l’heure de la santé publique”. En quoi est-ce important ?  Il y a deux médecines différentes : la médecine curative et individuelle, on le voit tous les jours avec des médecins libéraux, des cliniques privées, qui n’ont pas été mises dans la boucle et ce n’est pas normal. Par contre, à côté, il y a une médecine préventive et communautaire et la culture de cette médecine-là n’est pas suffisamment développée en France. A l’inverse des pays européens du Nord, comme la Norvège ou la Suède, c’est-à-dire l’épidémiologie, la prévention, l’éducation pour la santé. Et là, je pense qu’on devrait profiter du réseau des médecins et pharmaciens libéraux en France pour pouvoir faire de l’éducation pour la santé. Le Sars-CoV-2 reste aujourd’hui la grande pandémie, mais il y en eu d’autres avant qui continuent à sévir dans le monde entier, c’est le diabète de type 2, la surcharge pondérale, l'absorption de sucre dès l’enfance : il n’y a rien de mieux que des médecins et pharmaciens pour parler de ça.    Vous dites aussi qu’il est important de retrouver une souveraineté sanitaire ? Elle est très importante parce que les chefs d’Etat occidentaux et d’ailleurs, toute ma génération d’hommes politiques, nous avons connu la mondialisation “heureuse”. On s’est rendu compte que sur le plan de la défense, des armes, de la politique étrangère, nous devions être très souverains. Mais tout le monde a oublié que la santé est un thème régalien et pas un thème “accessoire”. On s’est aperçus à l'occasion de cette crise que nous n’avions plus de paracétamol. 100% du principe actif de paracétamol est fait pour 65% en Chine, pour 30% en Inde… Oui il est temps, grand temps, de rapatrier la production de médicaments et de produits de santé. Je pense aux respirateurs, pour que nous soyons indépendants. Imaginez demain que nous ayons un conflit grave avec l’Inde et la Chine, comment ferions-nous pour avoir tous ces médicaments ?   
“Maladie Française : Pandémie, et pourtant tout avait été préparé” ; Par Philippe Douste-Blazy,

avec une préface du Pr Didier Raoult;
Editions de l’Archipel.   

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