"Payer les médecins hospitaliers à l’acte est une évolution nécessaire"

10/11/2020 Par L. C.
Politique de santé

Quelques mois seulement après le Ségur de la santé, et plusieurs milliards d'euros versés plus tard, la colère et la détresse des professionnels de santé ne semblent pas s’être dissipées. Au contraire, la deuxième vague de l’épidémie de Covid-19 a, pour bon nombre de médecins, ravivé des tensions déjà existantes, à l'hôpital comme en ville. Face à ce constat alarmant, la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (iFrap) a publié en septembre dernier une série de recommandations pour améliorer le système de santé. Suppression du statut public, paiement à l’acte pour les médecins hospitaliers, réforme de l’impôt sur le revenu pour soutenir les médecins de ville... Sa présidente, Agnès Verdier-Molinié, détaille pour Egora ces mesures libérales.   Egora.fr : Dans votre rapport "Sortir de la suradministration de la santé, Les solutions", vous dites notamment que le Ségur de la santé, qui a eu lieu cet été, a manqué le coche. Pourquoi ? Agnès Verdier-Molinié : Des dizaines de rapport et de livres, les déficits et surtout le mal-être permanent des personnels des hôpitaux montrent qu’il existe un problème de fond à l’hôpital. Comme souvent le sujet du “manque de moyens” est mis en avant parce qu’il fait consensus et évite de chercher des causes dérangeantes. Cela alors que nous dépensons autant en santé par rapport à notre richesse nationale que nos voisins allemands, par exemple. Dans de nombreux hôpitaux, les conflits entre médecins et gestionnaires ne trouvent pas de mécanisme efficace de résolution, et se répercutent à tous les niveaux. La crise sanitaire au printemps avait montré les insuffisances de notre système de santé : coopération public/privé, médecine de ville/hôpital, organisation en silos. Les multiples réformes n’ont rien résolu. Les 8 milliards d’euros du Ségur de la santé n’ont rien changé, il n’aura fallu qu’un mois pour notre système sanitaire craque à nouveau.   Face à l'endettement des établissements de santé, vous appelez à aligner le statut des hôpitaux publics sur celui hôpitaux privés non lucratifs. Pourquoi vouloir la suppression du statut public ? Les hôpitaux privés et privés non lucratifs ont fait preuve d’initiative et de responsabilité. Quand il y a des problèmes financiers, ils sont traités au lieu d’attendre un énième plan de retour à l’équilibre et surtout de nouvelles subventions comme la récente reprise de 10 milliards de dettes des hôpitaux publics par l’Etat. Il s'agit surtout de donner plus d'autonomie aux hôpitaux dans leur mode d'organisation sans attendre tout des règles édictées dans les ministères. Quand il y a des problèmes de fonctionnement, de choix des spécialités traitées ou de personnes, le conseil d’administration a pouvoir pour agir. Bien que les personnels n’y soient pas plus payés que dans le public, les problèmes y sont beaucoup plus rares, grâce à la proximité du management, et au sentiment d’appartenance et de responsabilité.

  Vous défendez, par ailleurs, le fait qu'un médecin hospitalier doit être payé à l'acte plutôt qu'avec un salaire. Aujourd'hui, on a plutôt tendance, au contraire, à délaisser le paiement à l'acte. Pourquoi un tel changement est-il nécessaire ? Le but est de rémunérer les médecins hospitaliers en fonction de leurs compétences et de leur engagement. Les payer à l’acte signifie rémunérer les médecins en fonction d’une évaluation. Cela demande du courage de la part de l’évaluateur et de l’évalué Mais c'est une évolution nécessaire. Ce n’est pas usuel en France en milieu hospitalier public eu égard au statut des agents, mais c’est pourtant ce qui fonctionne dans les hôpitaux privés non lucratifs notamment.    Vous proposez également de "réformer les ARS", très critiquées pour leur gestion de l'épidémie... L’équilibre du système de santé et son efficacité sont perturbés par la confusion des rôles de l’Etat, à la fois régulateur (c’est son rôle), fournisseur très important de soins (hôpitaux) et assureur (Cnam). Un rôle trop lourd pour être assuré efficacement, et où les interférences d’un rôle sur les autres sont nuisibles. Quel intérêt l’ARS ou l’assureur auraient-ils à exiger des réformes dans des hôpitaux au risque de créer des problèmes avec les personnels ou les élus, quand il s’agit de la même structure avec souvent les mêmes personnes ? Ce qui explique, par exemple, le retard de 20 ans de la France dans la chirurgie et les soins ambulatoires ou l’hospitalisation à domicile. Mais aussi les années de retard dans la fermeture de services hospitaliers dangereux ou trop coûteux, et l’écart fréquent de tarifs entre les soins réalisés en hôpital et en clinique. Aucun progrès ne sera possible sans mettre un terme à cette confusion, en coupant le cordon entre hôpitaux et Etat, et entre l’Etat et l’assureur (concurrence régulée entre les assureurs au premier euro). De plus, une véritable régionalisation du fonctionnement opérationnel du système, sous des règles nationales, apporterait de la flexibilité et de l’émulation. 

  En quoi l'Ondam est un "outil inefficace", comme le suggère votre étude ? Quelles solutions pour le rendre efficient ? En espérant contrôler les dépenses par le haut, l’Ondam ne peut donner lieu qu’à des empoignades entre les différentes parties prenantes pour récupérer un maximum de moyens. La tentation de l'État de couper là où ses propres services (hôpitaux, Cnam) seront le moins impactés a abouti aux délocalisations de l’industrie du médicament (production, mais aussi essais thérapeutiques) et au désenchantement des professionnels de santé de ville. La bataille de l’efficience de la dépense de santé se joue au contraire sur le terrain avec des payeurs et des clients qui exigent les meilleurs soins au meilleur coût.   Vous écrivez : “la Cnam qui pouvait lire dans ses fichiers de données de santé, de fortes évolutions de prescriptions, les soins inappropriés ou les écarts étonnants de fréquences de chirurgies entre départements, s'est contentée d'être un payeur rapide à défaut d'être un acheteur de soins impliqué”. Comment expliquer cet échec ? Aujourd'hui, le système de santé français n'exploite pas suffisamment ses données de santé. L’Assurance maladie possède des données liées à la facturation mais ne sait rien de la qualité d’une prise en charge médicale. Pour les complémentaires, cela leur est interdit. Ce qui explique le retard pris dans l'exploitation des données de santé. Les différents logiciels médicaux ne sont que rarement interopérables. A cela s'ajoute une multitude d’acteurs publics ayant compétence sur la digitalisation du système. Résultat, la Cnam est un payeur aveugle qui...

n'a développé aucun moyen d'évaluation des prestations. Et lorsque les déficits s'accumulent, on se contente d'augmenter les prélèvements. Ce n'est pas la fonction que doit remplir un assureur : leur but est de servir leurs assurés et d’améliorer leur rentabilité, pas d’augmenter les primes. Cela semble évident pour les mutuelles, mais c’est aussi vrai pour les assureurs-entreprises. Un exemple, l’action de la Cnam en matière de prévention est minime, avec des relances limitées pour la vaccination de la grippe, la détection des cancers du sein, de la prostate ou du colon. Il est frappant de voir que la France est très en retard par rapport aux autres pays de l'OCDE en matière de dépenses de prévention.   Comment pourrait-elle réduire la part des actes et des prestations de soins peu ou pas pertinents ? Les soins peu pertinents seront réduits par des contrôles réalisés sur les données de santé actuellement inutilisées, mais surtout par de l’accompagnement de chaque l’assuré par son assureur. Il est nécessaire également d'accélérer sur le DMP dont le retard est inacceptable. Une fois que chaque personne qui le souhaite sentira que les conseils de prévention et de parcours de soins prodigués par l’assureur sont dans son intérêt, le nombre d’actes inutiles baissera significativement. Une boucle positive sera enfin enclenchée. 

  Jugez-vous que la médecine de ville est délaissée par rapport à l'hôpital ?  Les chiffres sont là : la France consacre plus de moyens à l’hôpital que ses voisins y compris l’Allemagne, et moins à la médecine de ville. Mais le pire, c’est le manque de considération dont la médecine de ville souffre de la part du monde hospitalier et de l’administration. On l’a constaté lors de la première vague de l’épidémie pendant laquelle les médecins de ville ont été ignorés. Des actions sont engagées pour favoriser aujourd'hui des communautés médicales entre hôpitaux et médecins. Mais il faut simplifier les procédures et donner dans ce domaine plus de poids aux collectivités pour appuyer ces initiatives.   En ville, que faudrait-il réformer ? Vous évoquez notamment l’impôt sur le revenu... Il faut aussi s'interroger sur le mode de rémunération de la médecine de ville qui est aussi décourageant : médecins en secteur 1, infirmière, kiné…  littéralement payés “à la pièce” sans que leur expérience et la qualité de leurs soins ne soient pris en compte. Aucune profession, surtout à ce niveau de qualification, ne peut accepter des perspectives de carrière qui se limitent à “travailler plus vite”. Le renoncement à assurer en ville une permanence des soins 24/24, est le signe d’un désengagement qui répond logiquement au manque de considération de la part du système de santé mais qui coûte plus cher car les urgences sont plus engorgées. Par ailleurs, effectivement, nos taux d’imposition des revenus sur les CSP+ découragent les médecins de travailler plus. Ce sujet devrait être sérieusement étudié.    *La rédaction d'Egora tient à préciser que l'interview ci-dessus a dû être réalisée par mail, contrairement à nos usages.

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La consultation longue à 60 euros pour les patients de plus de 80 ans et/ou handicapés est-elle une bonne mesure ?

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