Grève des gardes : "il y a un risque de contagion aux autres départements"

18/06/2019 Par Yvan Pandelé
Démographie médicale

Les médecins libéraux de l'Oise, dans les Hauts-de-France, ont lancé samedi dernier une grève illimitée des gardes dans leur département. Le nouveau zonage, qui classe l'essentiel du département en zone blanche, exclut de facto un bon nombre de territoires des aides à l'installation et au maintien. Entretien avec le Dr Xavier Lambertyn, à l'origine du mouvement, qui dépeint une situation explosive.   Depuis le week-end dernier, les 300 médecins libéraux de l'Oise ont débuté une grève illimitée de la permanence des soins. Samedi 15 juin, six des sept maisons de garde du département étaient fermées. Motif de la mobilisation : la nouvelle définition des zones prioritaires exclut la majeure partie d'un département pourtant considéré comme très fragile au plan de la démographie médicale. Au mépris de l'alerte de nombreux élus de terrain. Le Dr Xavier Lambertyn, président de l'association départementale pour l'organisation de la permanence des soins (Adops) de l'Oise et membre de l'URPS des Hauts-de-France (élu FMF), accuse le nouveau zonage de déstabiliser des territoires déjà en tension Pour ce "médecin de terrain", comme il se décrit, qui a monté la première CPTS de sa région et exerce en cabinet de groupe dans un village près de Beauvais, la situation est devenue insoutenable. Egora.fr : qu'est-ce qui a initié la grève illimitée des gardes dans l'Oise ? Dr Xavier Lambertyn : Ce qui a initié le conflit, c’est l’incompréhension que l’on a pour le nouveau zonage sorti en début d’année. L’URPS Hauts-de-France avait déjà tiré la sonnette d’alarme en janvier, en disant que le zonage ne reflétait absolument pas la réalité du terrain, qu'il y avait beaucoup de zones en souffrance qui n'étaient pas comptabilisées. La présidente du conseil départemental est aussi montée au créneau, ça a alerté à tous les niveaux.

On ne demande pas à être une région privilégiée. Mais quand vous voyez que la moyenne nationale des zones d'intervention prioritaire est à 35 % et que nous on est à 8 % de la population (voir encadré), alors qu'on était étiquetés comme une zone extrêmement fragile, il faut m'expliquer. On voit tous les ans le nombre de médecins diminuer sur le terrain, la population augmente et vieillit. Et on nous dit que ça va de mieux en mieux ! Quel a été l'élément déclencheur de cette grève ? J’ai des parents dont la fille passe l’internat. Elle voulait venir en stage chez moi mais elle bénéficie d'un CESP [contrat d'engagement de service public, NDLR]. Elle m’avait appelé en janvier pour me dire qu'elle était intéressée pour venir chez moi, peut-être faire des remplacements, voire continuer après. Je me suis dit "ça y est, enfin j’ai attrapé quelqu’un !". Et au mois de mai elle m'a appelé pour me dire qu’elle ne pourrait pas venir chez moi parce que je ne suis pas en zone prioritaire. Et là, la moutarde m’est montée au nez.

"Vous savez, ce n'est pas facile pour un médecin de refuser du monde"

On a eu un autre cas d’une collègue dans un territoire où on manque de médecin. Une jeune devait signer un contrat de collaboration et quand elle a vu que ce n’était pas en ZIP, elle est partie à 20 kilomètres de là, dans le département d'à côté. Je ne lui jette pas la pierre. Avec leurs histoires de nouveau zonage, ils sont en train de tout déstabiliser ! Vous faites aussi état d'une situation tendue sur votre territoire. Dans le secteur, sur neuf médecins, on a trois collègues qui sont partis à la retraite. On est déjà très tous très tendus, et s'ajoute ce surplus de patientèle qui cherche désespérément un médecin. Alors on a des journées qui n'en finissent pas, on refuse du monde tout le temps. Vous savez, ce n'est pas facile pour un médecin de refuser du monde. Depuis le début de l'année où c'est le cas, je ne suis pas bien, je le vis mal. Parce que quand les gens quand ils vous appellent, c'est qu'ils ont besoin de vous. Quelle réponse avez-vous eu de la part de l'ARS Hauts-de-France ? Ils comprennent notre colère, on a de bons rapports. Début mai j’ai écrit à l’ARS pour leur dire qu’on ne comprenait pas le zonage, qu’on était très en colère et que si on ne se retrouvait pas autour d’une table, on risquait de se mettre en grève. Et l’ARS nous a dit : on a remonté au ministère, c’est lui qui décide. Ils n’ont pas eu de réponse, ça fait six semaines. Plus on attend et plus on est énervés, on a l’impression d’un mépris total. Le ministère ne se rend pas compte de la dangerosité de la situation : il y a un risque de contagion aux autres départements. Vous voyez des solutions immédiates ? Non je n’ai pas de solutions, mais à un moment donné il faudra que tout le monde se mette autour d’une table. La santé actuellement, c'est une chambre à air percée de tous les côtés. Mme Buzyn met 80 millions d’euros sur les urgentistes, c'est bien, mais il y a plein de trous à côté.  À un moment, il faut changer la chambre à air. J’ai des collèges en épuisement total, en burnout. Il y a des situations dangereuses pour tout le monde. On faut du plâtrage à droite à gauche, c'est n'importe quoi. Vous ne craignez pas un report des patients sur les urgences ? J’ai eu des urgentistes qui comprennent notre mouvement. Si les urgences sont débordées, c’est qu’il y a des patients qui n’ont rien à faire aux urgences. C'est l'effet domino : la médecine libérale va mal et les gens se retournent vers l’hôpital. Tout le système de santé est en train de s’effondrer. Je ne sais pas si les gens se rendent bien compte mais nous on voit ça de l'intérieur : il y a une dégradation à tous les niveaux. Qu'est-ce qui vous ferait cesser le mouvement de grève ? On veut déjà être entendus, qu’on reconnaisse que l’Oise est un département en grande souffrance. Honnêtement, tout le département devrait passer en zone rouge [prioritaire, NDLR]. À Beauvais, il y a encore quatre collègues qui partent cette année et il n’y a aucune installation.

ZIP et ZAC, késako ?

Le zonage détermine (entre autres) le versement des aides conventionnelles et étatiques aux médecins libéraux. Deux types de zones en tension existent : les zones d'intervention prioritaire (ZIP pour les intimes, en rouge sur les cartes des ARS) et les zones d'action complémentaire (ZAC, en jaune), intermédiaires en matière de désertification. A elles seules, les ZIP et ZAC couvrent les deux-tiers (68 %) de la population française, et captent la plupart des aides à l'installation et au maintien (aides conventionnelles dans les ZIP : Caim, Cotram, Coscom, CSTM ; aides d'État dans les ZAC : PTMG et PTMA). Le nouveau zonage, lancé fin 2017 par le ministère de la Santé, repose sur le concept d'accessibilité potentielle localisée (APL), qui a vocation à capturer l'accès concret à l'offre de soins, locale et alentours, de la population. Elle est calculée sur cette base :

  • Le volume de l’offre de médecine générale, en nombre d’actes accessibles par an et par habitant, par les praticiens de moins de 65 ans ;
  • pondéré par les besoins en soins de la population (selon l'âge) et le temps d'accès aux médecins (par la route) ;
  • en tenant compte de l'âge des médecins dans le territoire.

  Les zones pour lesquelles l'APL dépasse 4 consultations par an et par habitant sont, de droit, considérées comme des ZIP (zones rouge). Les zones entre 2,5 et 4 consultations par an et par habitant constituent le "vivier" : il revient aux ARS d'y sélectionner des ZIP additionnelles sur la base de critères maison (part de la population en ALD, taux d'hospitalisation évitables, etc.), dans la limite d'un taux défini par le ministère. Une marge de manœuvre locale que d'aucuns jugent beaucoup trop restreinte pour adapter le zonage aux besoins de santé réels du territoire. Les Hauts-de-France sont particulièrement mal lotis au regard du nouveau zonage : les ZIP couvrent 8 % de la population contre 18 % dans l'Hexagone, et les ZAC 38 %, contre 56 % au national. Et ce, alors que la région fait état d'une mortalité supérieure de 20 % à la moyenne du pays. "Les seuils fixés pour le zonage des ZIP et des ZAC ne correspondent pas à la réalité des besoins sanitaires de la région", dénonçait ainsi Valérie Létard, conseillère régionale des Hauts-de-France, au Sénat en avril dernier.

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