"Gain de temps", "risque" : la fin du certificat pour la pratique sportive des mineurs divise les médecins

21/05/2021 Par L. C.

C’est une petite révolution pour la médecine générale. Depuis près de deux semaines, les mineurs ne sont plus obligés de fournir de certificat médical pour obtenir ou renouveler une licence sportive, ni même pour s’inscrire à une compétition. A l’approche de la rentrée scolaire, ces certificats de non contre-indication représentaient jusqu’ici une charge de travail importante pour les médecins généralistes. Si certains d’entre eux se réjouissent ainsi de pouvoir retrouver du temps destiné aux soins, d’autres craignent de voir disparaître les adolescents de leur cabinet, évoquant la nécessité de mettre en place une consultation longue, régulière, et remboursée pour recréer un lien avec les jeunes. Débat.   C’était une promesse du Gouvernement, qui avait inscrit la mesure dans son projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2020 afin de “libérer du temps médical” et “faire des économies”. C’est désormais officiel, le certificat de non contre-indication à la pratique sportive ne sera plus obligatoire pour les enfants. Un décret, publié au Journal officiel le samedi 8 mai, vient en effet de supprimer l'obligation pour les mineurs “de produire un certificat médical pour l'obtention ou le renouvellement d'une licence sportive ou pour l'inscription à une compétition sportive”. Jusqu’ici, et ce depuis 2016, un certificat d’aptitude lors de l’inscription, et tous les trois ans pour les renouvellements, était demandé par les fédérations sportives, à l’exception des fédérations sportives scolaires (il était demandé tous les ans pour les disciplines à contraintes particulières dans les deux cas). Le jeune sportif ne devait remplir qu’un questionnaire de santé les autres années. Désormais les enfants, et leurs représentants légaux, devront uniquement se soumettre à un questionnaire de santé détaillé. En ce sens, ils devront répondre à une vingtaine de questions simples : “As-tu beaucoup plus grandi que les autres années ?”, “As-tu du mal à t'endormir ou te réveilles-tu souvent dans la nuit ?”, ou encore, pour les parents “Êtes-vous inquiet pour son poids ? Trouvez-vous qu'il se nourrit trop ou pas assez ?”. Une réponse positive à l’une ou plusieurs des questions impliquera la prise d’un rendez-vous chez le médecin pour obtenir le sésame. Certaines disciplines à “contraintes particulières”, comme la boxe, le rugby, le motocyclisme, la plongée subaquatique, la spéléologie, le parachutisme etc., ne sont cependant pas concernées par cette absence d’obligation de certificat. Ceux qui souhaiteraient les pratiquer au sein d'une fédération et en compétition seront toujours contraints de délivrer un certificat pour l'inscription et le renouvellement.

  “Un vrai examen” Avec ce décret, c’est tout un pan du quotidien du généraliste qui disparaît, ce dernier étant bien souvent submergé par les demandes en tout genre, notamment à l’occasion de la rentrée scolaire et de celle des clubs sportifs. “On avait tous notre bêtisier des demandes... 

pétanque, concours de jeux d'échecs…”, se souvient le Dr Canévet, généraliste désormais à la retraite, qui a assuré toute sa carrière des consultations PMI (protection maternelle et infantile). Ce dernier reconnaît toutefois que ces certificats provoquaient un “sentiment, largement partagé, d'inutilité et de temps perdu dans la plupart des cas”, en particulier chez les adultes. Nombre de praticiens se sont de fait réjouis sur les réseaux sociaux de la fin de ce document :  “La meilleure nouvelle de cette année”, “Et bien ça va alléger la charge mentale en septembre !”. Depuis toujours, la rédaction de ce certificat d’aptitude au sport divise la communauté médicale, partagée entre cette notion de “perte de temps” destiné aux soins, déplorant notamment l’aspect chronophage de la tâche, et la possibilité de recréer le lien avec le jeune patient. “C’est un moment privilégié pour établir un contact avec eux et aborder des questions autour de la santé, de la prévention, des addictions”, estime le Dr Jacques Battistoni, généraliste à Ifs (Calvados) et président du syndicat MG France, qui constate que les adolescents consultent peu. “En effet, passé 11 ans, il n’y a plus de vaccins à faire jusqu’à 25 ans”, explique-t-il. “Il y a effectivement une période blanche entre la fin de la deuxième enfance et l’entrée dans l’âge adulte”, constate également le Dr Canévet qui admet qu’il est dommage de perdre une occasion de rencontrer les jeunes patients. Ce dernier espère néanmoins que “la difficulté de réponse au questionnaire”, comportant une vingtaine de questions, “poussera ces jeunes patients chez les médecins”. Une possibilité de “retour à la case départ” également évoquée par de nombreux usagers de Twitter… plus ou moins ravis.  

  “L’examen du jeune sportif est un vrai examen au cours duquel on en profite pour voir plein de choses”, assure de son côté le Dr Jérôme Marty, président de l’UFML-Syndicat, qui reconnaît toutefois que les demandes à la chaîne peuvent rapidement devenir une contrainte. Selon lui, on peut néanmoins se passer d’un certificat de sport dans la mesure où...

un suivi régulier avec le médecin traitant est mis en place. “Je ne suis pas contre, si c’est adapté de façon logique et en gardant un esprit médical, pas si c’est pour satisfaire quelques médecins qui disent qu’ils sont débordés, ou le législateur”, déclare le praticien. Pour le généraliste de Fronton (Haute-Garonne), le passage par le médecin dans le cadre d’une pratique sportive demeure important. Mais il n’est pas toujours pris en considération par les familles. “Vous avez  des parents que ça va arranger de ne pas voir le médecin pour ne pas avoir à régler une consultation, et d’autres, notamment ceux qui se réalisent au travers de leur enfant, qui sont parfois prêts à cacher des choses pour pouvoir inscrire leur enfant dans un club, ça existe”, indique-t-il. “Pour de nombreux mômes et leurs parents, ce certificat se résume à une simple signature entre deux portes et surtout pas dans le cadre d’une consultation rémunérée”, témoigne également l’un de nos lecteurs.

  Responsabilité “Il faut rester logique, ne pas passer à côté de quelque chose. Tout le problème est là. Parce qu’après, qui est responsable s’il y a un accident de sport, comme un accident cardiaque ?” s’interroge, inquiet, le président de l’UFML-S. Sur Twitter, une maman se disait par exemple reconnaissante vis-à-vis de son médecin qui, au cours d’une visite pour établir un certificat médical, a découvert que son fils avait une coarctation de l’aorte (voir tweet ci-dessous).

  “J'admets volontiers qu'interroger et examiner des centaines, voire des milliers, de jeunes sains pour dépister une ou deux cardiopathies ne soit pas très rentable sur le plan du temps passé, mais je vous laisse évaluer le prix d'une vie sauvée”, abonde en ce sens un egoranaute, ancien réanimateur. Pour le Dr Philippe Binder, néanmoins, “l'énorme majorité des consultations de sport ne servent pas à grand-chose”. “Je ne pense pas qu’en 37 ans d’expérience, j’ai dépisté un problème de santé” dans le cadre de...

ces consultations, assure le directeur du département de médecine générale à la faculté de Poitiers. “Des contre-indications sportives, quand ça arrive, c’est évident. Ce sont des problèmes de santé dont les parents se sont saisis”, explique ce praticien, également en charge des ados au service pédiatrie à l’hôpital de Rochefort (Charente-Maritime), qui précise que les problèmes cardiaques des jeunes sportifs sont très difficiles à détecter. “On a montré que faire des électrocardiogrammes n'était pas la meilleure chose pour prévenir.”

  Une nouvelle consultation pour les ados ? Ce dernier plaide donc pour “libérer les médecins de cette obligation administrative” quitte à “voir moins d’adolescents”. Car “80% des adolescents consultent un médecin une fois dans l’année pour un problème ou un autre. C’est quand même pas mal”, estime-t-il. La meilleure solution, selon lui, pour détecter d’éventuels problèmes sur un mineur serait “que le médecin se saisisse d’une autre consultation banale - pour une angine, un vaccin, etc., pour élargir, en regardant l’antériorité de la dernière consultation”. Le Dr Battistoni évoque quant à lui la possibilité de créer une consultation pour cette jeune population, qui serait valorisée comme une consultation longue, “sur le modèle de celles à 46 euros”. “On peut accepter l’idée que le certificat ne soit plus une obligation, mais il faut absolument trouver un moyen pour créer un lien avec les jeunes et ça passe certainement par des examens périodiques qui soient remboursés, probablement à 100% par le régime obligatoire, un peu comme l’est l’examen de 2 ans chez l’enfant. Car la santé, ça ne s’arrête pas à 2 ans.” L’occasion de détecter “d’éventuels troubles des apprentissages”, “très fréquents”, de parler addiction, sexualité, contraception, santé mentale… “L’idée de faire des consultations très spécifiques dédiées à un seul sujet n’est à mon avis pas pertinente”, juge le président de MG France. “C’est très important en termes de santé publique de créer un lien. Cela va renforcer le fait que pour l’enfant, ou pour l’adolescent, il y a un professionnel de santé de référence et qu’il s’agit de leur médecin généraliste.”  

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