Face à un médecin tyran, refusez de payer : le mot d'ordre d'un MG

09/06/2017 Par A.M.

Médecin généraliste à Paris, le Dr Sauveur Boukris appelle à la révolte des patients. Son dernier ouvrage, Libérez le médecin qui est en vous (Ed. du Cherche Midi), leur montre comment résister aux "diktats médicaux" et refuser la "tyrannie" de certains praticiens. Car la médecine, de plus en plus technique et normative, a oublié le malade pour ne plus se concentrer que sur la maladie. Il revient pour Egora sur cette dérive et exhorte ses confrères à être "plus humble".

  Egora.fr : Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire sur ce sujet ? Dr Sauveur Boukris : Depuis des années j'écris des livres sur tout ce qui intéresse les malades : les médicaments, les génériques, la médecine alternative, la Sécurité sociale… Il y a quatre ans, je suis devenu médecin expert du dommage corporel. Cette spécialité évalue toutes les conséquences d'une maladie, son retentissement sur la vie professionnelle, familiale, sociale, sexuelle du malade. J'ai vraiment pris conscience -je le sentais déjà un peu avant - que la médecine de soins, la médecine "officielle", n'agit que sur les symptômes. Elle ne prend pas l'individu dans sa globalité. Elle traite des maladies, mais pas des malades. Sur l'hypertension, le diabète, le cholestérol, on traite des chiffres, on recherche des objectifs. L'individu avec son histoire, ses convictions, on n'en tient pas compte. La médecine est devenue de plus en plus scientifique, de très haut niveau. Mais derrière les dogmes et les recommandations, il y a des patients qui ont une vie. Les malades nous le disent : "On nous écoute pas". Je dis aux patients de se libérer de ces diktats pour partager le pouvoir médical. Je leur donne même des clés pour faire de l'autodiagnostic et être à armes égales avec leur médecin. Attention, le but n'est pas de se substituer aux médecins, qui a ses dix ans d'études, des connaissances et des compétences. Mais il faut trouver un compromis entre le médecin qui a des connaissances et le malade qui a un ressenti. Aujourd'hui, on ne peut plus obéir aveuglement. Même le mot ordonnance devrait être banni ! On ne doit plus imposer un traitement. Il faut que le patient y adhère, qu'il comprenne pourquoi il doit le prendre ce médicament, ce qu'on en attend, ce qu'il faut surveiller. Il faut que les malades soient un peu plus exigeants envers leur médecin, et que le médecin lui soit moins arrogant, plus dans l'empathie et l'explication. D'autant que le droit à l'information est consacré par la loi de mars 2002.   Vous dites que pendant des siècles les médecins ont appliqué les principes d'Hippocrate, dont le fondement est l'écoute du patient. Ce n'est plus le cas aujourd'hui ? Pour quelles raisons ? Pendant des siècles, on a pratiqué une médecine sensorielle. On a parlé, touché les malades. Aujourd'hui, les jeunes médecins appliquent des normes et suivent des recommandations. Ils ne touchent plus l'abdomen, mais font tout de suite une échographie ; ils ne font plus d'examen neurologique, mais tout de suite un scanner. Le ressenti du malade n'est pas pris en compte. On fait de moins en moins de médecine clinique. Tout est fait à partir des faits et des preuves, c'est l'evidence based medecine. On a des statistiques et on essaie de faire rentrer le patient dans des cadres très formatés. A l'opposé, il y a la médecine narrative : le malade raconte son histoire, son parcours de vie et n'est pas résumé à son diagnostic. Il ne devient pas un cas clinique, un dossier.   Les médecins manquent de temps… Ce n'est pas qu'une question de temps, c'est aussi un état d'esprit. On voit des médecins hospitaliers qui ont du temps, qui ne sont pas payés à l'acte, mais n'ont pas cette disponibilité car leur médecine est basée sur des références bibliographiques, des statistiques, des normes et l'individu n'est plus pris en compte. On traite de la même façon le cadre sup de Neuilly qui a le temps de jouer au tennis et l'ouvrier précaire qui vit en banlieue avec ses trois enfants.   Cette médecine scientifique, qui se concentre sur un organe au point de faire abstraction du patient, dans quelles spécialité est-elle particulièrement présente ? Et inversement, quelles spécialités sont "épargnées"? Vous avez ça en néphrologie, en cancérologie, en dermatologie… Même en psychiatrie, où on doit raconter une histoire, les médecins se réfèrent aux DSM IV ou V et vérifient si les patients rentrent dans les critères bien définis. Même les médecins généralistes font plus une médecine symptomatique ! En revanche, les gynécologues par exemple, quand ils traitent une femme pour un fibrome ou une ménopause, ils tiennent compte de la vie relationnelle et sexuelle. Car la patiente demande à son médecin, à juste titre, quelles seront les conséquences de son traitement et de son intervention sur sa libido, sa féminité. Mais je ne veux pas stigmatiser des spécialités… Il y a des cardiologues qui peuvent être très technocrates, mais aussi d'autres qui disent "vous pouvez faire du sport, avoir une vie sexuelle".   Vous vous attardez sur le cas des maladies chroniques…. Dans le cas de l'asthme, le spécialiste va s'intéresser au débit respiratoire, à la forme de la crise mais ce qui est important pour le malade c'est quel sport il peut faire, s'il peut jouer de la musique ou danser ! Le malade n'attend pas qu'un diagnostic de la part du médecin. Il ne faut pas réduire une personne à sa maladie. On ne s'occupe pas d'un hypertendu, mais d'une personne atteinte d'hypertension qui sera comme les autres avec son traitement.   A l'origine de cette prise de conscience, il y a aussi une histoire personnelle… C'était l'un de mes premiers patients. Un chauffeur de taxi de 65 ans, qui allait prendre sa retraite et voulait faire un bilan de santé. Il était bon vivant et avait un peu de bedaine. Ses prises de sang montraient qu'il avait un peu de cholestérol, un peu de diabète, un peu d'hypertension. Tout était un peu en excès. Quand je lui ai demandé de réduire les graisses, le sucre, etc. j'ai vu son visage se décomposer petit à petit. Quand je l'ai raccompagné, j'ai bien vu que j'avais été excessif. Huit jours après, un matin, sa femme m'appelait : "Venez vite Docteur, je crois que mon mari est décédé !" Quand je suis arrivé, je l'ai trouvé en pyjama, la tête dans son bol de café. Sa femme avait dû lui dire de faire attention avec la confiture ou le beurre. Il était stressé. Je pense que j'ai été trop dur avec lui. Je n'ai pas tenu compte de sa psychologie, sa façon de vivre. Le mieux est l'ennemi du bien… Je pense que les médecins d'autrefois, de famille, qui rentraient dans les appartements, arrivaient à être un peu plus indulgents sur les objectifs thérapeutiques.   Les médecins se plaignent souvent de voir arriver leurs patients avec le diagnostic trouvé sur Doctissimo et qui viennent demander l'ordonnance correspondante. Quel regard portez-vous sur cette évolution ? Internet fait partie de notre quotidien. Vous ne pouvez pas lutter contre ça. Les malades ont le droit d'être informés. Ce n'est pas une remise en cause des compétences des médecins, c'est une invitation à un dialogue. Je pense que nous, médecins, devons descendre de notre piédestal. La médecine est de plus en plus participative, collaborative, à l'image de la société. Rien n'est imposé, on a besoin de comprendre les choses. C'est aux médecins de s'adapter à cette évolution.   Face à un médecin arrogant, vous conseillez au patient de se lever et de partir sans payer. N'est-ce pas un peu extrême ? Il y a des médecins qui se comportent de façon agressive et disent "moi je sais tout, taisez-vous" et ce n'est pas digne d'un médecin. Comme ces médecins qui disent "si vous n'arrêtez pas de fumer, je vous soigne pas". C'est une minorité mais ils nuisent à l'image de la profession. Je dis à mes confrères d'être un peu plus humbles. Il vaut mieux que ce soit un médecin qui leur dise, parce que les malades aujourd'hui -je le vois dans mes expertises- portent de plus en plus plainte contre les médecins pour insuffisance d'informations et maltraitance.  

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