Internat : quand le choix de la spécialité tourne au casse-tête

22/06/2019 Par L'Externe
Billet de blog
Il y a les spécialités "prestigieuses", celles qui sont réputées "tranquilles" et celles qui échoient aux étudiants les moins bien classés. Loin d'être guidé par les seules aspirations personnelles, le choix de la spécialité d'internat est un dilemme qui se pose chaque année à des milliers d'externes. Famille, profs, amis... chacun a son mot à dire. Et c'est ainsi que des généralistes dans l'âme se retrouvent radiologues.
 

Billet initialement publié sur le blog de L'Externe   "Attention attention, roulements de tambour… la fin de l’externat c’est aussi le choix de la spécialité. Après six années à engloutir anatomie, chimie organique, physiologie du coeur et des orteils et la liste des 363 items à connaître pour le concours final, il est l’heure de décider quel métier on veut vraiment exercer. Fini de faire le touche-à-tout trois mois au bloc opératoire, trois mois dans le camion du Samu, trois mois en dermatologie… il faut maintenant faire un choix. La famille et les amis, qui pensent surtout à votre bien être physique et mental, auront tendance à vous pousser à prendre une spécialité "tranquille" :

« Pourquoi tu ne fais pas dermatologue? Comme ça tu ne travailles pas la nuit, tu es bien payée, ce n’est pas trop stressant… »

La question de savoir si vous avez envie de passer le restant de vos jours à regarder la peau des gens à la loupe semble ici tout à fait secondaire. Il y a ensuite vos encadrants de stage qui, après vous avoir ignoré durant trois mois, veulent subitement vous recruter dans leur service au moment de l’évaluation du stage :

« Tu ne veux pas faire anesthésie-réanimation? C’est la meilleure spé! On a des postes ici. Après l’internat c’est tranquille tu verras. »

Moment gênant où l’on a l’impression que cela pourrait être vexant de répondre que non, on ne veut pas faire sa spécialité. Désolée pardon, faut pas le prendre personnellement, c’est juste que merci non merci. On espère que cela n’aura pas d’impact sur l’évaluation de stage… S’échapper discrètement par la porte de derrière. Il y a aussi les étudiants entre eux… qui ne se révèlent pas grand chose de leurs projet, restent mystérieux :

« J’hésite encore entre plusieurs spécialités. J’attends de voir mon classement. »

Eh oui car, dans le système actuel, les 9000 étudiants de France qui terminent leur externat sont classés du 1er au 9000ème en fonction de leur note à l’examen final (le fameux ECN). Un certain nombre de postes d’interne est ouvert pour chaque spécialité et chaque région, et c’est au "premier arrivé, premier servi". Le premier du classement peut faire n’importe quelle spécialité dans n’importe quelle ville. Le dernier prendra la spécialité qui reste dans la ville qui reste. Donc si l’on a pour ambition de faire une spécialité qui a généralement peu de postes ouverts (prenons par exemple la dermatologie), on évite de l’annoncer partout. Car si ensuite vous n’êtes pas assez bien classé pour avoir cette spécialité, il faudra aller dire à tout le monde "non en fait je suis gastro-entérologue", avec toutes les questions qui pourront en découler. "Ah bon? Tu préfère les intestins finalement? Mais tu ne nous en avait pas parlé? Le psoriasis, tu n’aimes plus? C’est tante Agathe qui va être déçue." Epreuve pénible que vous pouvez donc vous épargner en restant évasif…

Ce système tordu induit une hiérarchie des spécialités : c’est plus prestigieux d’avoir une spécialité que l’on ne peut avoir que si l’on est "bien classé". C’est donc mieux d’être radiologue que d’être pédiatre. Le fait que l’exercice des deux métiers soit radicalement différent semble secondaire. Quelles sont donc les spécialités qui partent en premier? On y trouve généralement l’ophtalmologie, la dermatologie, la radiologie : des spécialités très bien rémunérées avec une bonne qualité de vie. Mais aussi la médecine interne, la néphrologie, les maladies tropicales : des spécialités hospitalières prestigieuses. En "bas de classement", on retrouve la psychiatrie, la médecine générale, la santé publique, la médecine du travail. Plus de postes ouverts, des salaires plus bas, des intérêts plus "sociaux" et moins prestigieux. Annoncer que vous voulez être médecin généraliste ou médecin du travail attirera immanquablement des commentaires non sollicités de gens qui vous demanderont pourquoi vous rabaisser ainsi, et que vous pouvez sûrement faire mieux que ça… Et comment bien faire ce choix lorsque les études n’intègrent aucun stage en médecine du travail ou santé publique, et juste trois semaines en médecine générale ? Je me souviens d’une conférence de préparation à l’ECN sur la néphrologie où l’orateur nous expliquait des subtilités très complexes de néphrologie en nous disant qu’il fallait les maîtriser… s’il l’on voulait "avoir ophtalmo" ! Logique. Pour devenir ophtalmo, il faut être incollable sur les QCMs pièges des maladies rénales… C’est ainsi que chaque année, il y a des gynécologues dans l’âme qui se retrouvent pneumologues, des pneumologues dans l’âme qui se retrouvent endocrinologues, des dermatologues dans l’âme qui se retrouvent psychiatres… Mais en étant un peu optimiste, on peut penser que chacun finit par trouver chaussure à son pied dans la spécialité où il atterrit. Même si, sur le principe, on n’a pas très envie d’avoir affaire à un psychiatre qui se rêvait au départ en chirurgien plastique ! – Pour aller plus loin, je vous conseille la lecture de cette étude sociologique sur les choix de spécialités des étudiants en médecine pour la DREES (elle date de 2005 donc cela n’intégrait pas encore la médecine générale, il y avait deux fois moins de candidats et les modalités ont changé) : Le choix d’une vie… Étude sociologique des choix des étudiants de médecine à l’issue des épreuves classantes nationales 2005 Un extrait de la conclusion de cette étude:

« Les résultats des épreuves classantes nationales prouvent, une fois encore, que l’uniformisation d’un système sélectif sur une même grille de valeurs induit des comportements collectifs et individuels qui se calquent sur un modèle unique. Si l’on veut que les étudiants aient des « goûts » différenciés pour des exercices médicaux variés, selon les métiers, les lieux d’exercice, les zones géographiques, il faut leur permettre de se construire des identités professionnelles à partir de références différentes. »
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