Dépression résistante : de nouvelles voies thérapeutiques à l’étude

09/02/2017

Le  15ème congrès de l’Encéphale s’est tenu à Paris du 18 au 20 janvier 2017. Avancées scientifiques en psychiatrie, nouvelles pistes thérapeutiques mais aussi grandes questions sociétales et culturelles ont animé ces journées. Elles ont été l’occasion d’aborder des sujets phares comme la dépression ou la schizophrénie, mais aussi novateurs comme l’émergence des start-ups en santé mentale. Une session a été consacrée à la dépression résistante, dans laquelle a été abordée la place de la kétamine et des molécules dopaminergiques, qui pourraient constituer des alternatives aux électrochocs (ECT).

La dépression est un phénomène mondial avec 121 millions de personnes concernées en 2001 selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). En France, la prévalence annuelle de la dépression unipolaire est de 9% et l’on peut estimer à 8 millions le nombre de personnes qui feront un épisode dépressif au cours de leur vie. Les dépressions dites résistantes posent un défi  thérapeutique, comme l’ont souligné les intervenants au cours d’une session de ce congrès. "Si la notion de dépression résistante a évolué au fil des années, la définition communément admise est un épisode dépressif unipolaire n’ayant pas répondu à au moins deux antidépresseurs donnés à posologie adaptée pendant au moins 6 semaines, avec une bonne observance correspondant à la prise d’au moins 75% du traitement", a  expliqué le Pr Emmanuel Haffen (Besançon). Sa fréquence varie selon les études, mais on peut l’estimer selon des données canadiennes à environ 22% des patients traités pour dépression. La sévérité de la maladie, le risque suicidaire, un début précoce, des comorbidités anxieuses et somatiques, la non réponse à un premier traitement antidépresseur sont plus souvent associés au risque de résistance. Au plan de la personnalité, la faible dépendance à la récompense et le faible niveau d’extraversion sont aussi des facteurs favorisants. Parmi les facteurs extrinsèques, seules la perte de travail et la situation financière sont des éléments prédictifs. L’évolution de ces formes de dépression résistante est - on s’en doute - peu favorable. Une méta-analyse (Fekadu 2009) portant sur 9 études prospectives incluant près de 1300 patients montre qu’à 10 ans de suivi, seuls 40% des patients sont en rémission et qu’un an après la rémission, 80% des patients rechutent. La mortalité est également élevée et la qualité de vie se dégrade pour près d’un quart des patients ou ne s’améliore pas dans près de la moitié des cas à un et deux ans.

Ne pas négliger les symptômes résiduels

La persistance résiduelle de symptômes malgré le traitement est aussi un facteur  qui favorise la récurrence d’un épisode  dépressif.  "L’objectif du traitement de la dépression est la disparition complète des symptômes et le recouvrement du fonctionnement antérieur. Mais, la persistance de symptômes résiduels fait partie des critères de rémission, pour  peu que l’on obtienne une diminution de plus 80 % de la sévérité  des symptômes", a souligné le Pr Bruno Aouizerate (Bordeaux). Ces symptômes résiduels se traduisent par des perturbations du sommeil, des symptômes anxieux, des syndromes douloureux (céphalées, douleur des épaules, du rachis lombaire), une fatigue matinale, des troubles dépressifs mineurs, dont une difficulté de concentration.

Ils sont plus souvent observés chez les patients  dont l’épisode dépressif a duré plus d’un an et s’est accompagné  de symptômes anxieux. Comparés à des patients asymptomatiques, ces  patients avec symptômes résiduels tendent à rechuter plus vite et s’ils ne présentent pas plus d’épisodes dépressifs que les autres, ils sont plus souvent dysthymiques ou sujets à une dépression mineure.

L’électrochoc, toujours traitement de référence

Plusieurs alternatives thérapeutiques sont proposées pour traiter les dépressions résistantes aux antidépresseurs. "Les électrochocs (ECT) sont employés de longue date et constituent le traitement de référence de la dépression résistante", a rappelé M. Barde (Garches, 92). Ils sont souvent utilisés dans la dépression en cas de comorbidités avec désordre organique (Parkinson, Alzheimer, pseudo démence dépressive) et "surutilisés" chez les sujets âgés déprimés qui, de manière générale, tolèrent moins bien les antidépresseurs et sont plus enclins à faire des épisodes mélancoliques et psychotiques délirants. La kétamine est une autre piste explorée. Cet antagoniste des récepteurs N-méthyl-D-Aspartate (Nmda) est utilisé comme agent anesthésiant en pédiatrie et dans certaines situations d’urgence, et comme agent antalgique pour réduire la posologie des opiacés. Certains détournent son usage à visée récréative. Son effet antidépresseur a été découvert fortuitement. Il est rapide, puissant mais transitoire. Dans l’étude référence (Zarate 2006), portant sur 18 patients déprimés résistants, un effet antidépresseur a été observé dans les deux heures suivant la perfusion : avec 71% des patients répondeurs et  29% en rémission après 24 heures et, pour 35% des patients, un maintien de l’efficacité  après une semaine. Pour  prolonger l’effet antidépresseur, certains auteurs ont essayé de répéter les perfusions tous les 2-3 jours avec un effet mitigé :  rechute pour 8 patients sur 9, après en moyenne 19 jours (de 6 à 45 jours) après 6 perfusions, et un seul patient répondeurs à 3 mois. En phase aiguë suicidaire, la kétamine est intéressante car elle permet une réduction importante du risque suicidaire dans 81% des cas 24 heures après la perfusion, avec un maintien de cet effet sur 12 jours en renouvelant les perfusions.

La tolérance clinique est globalement bonne (effets psychomimétiques transitoires, virages de l’humeur) mais l’on ne connait pas les risques de neurotoxicité en usage chronique. Une forme intra nasale (eskétamine) est en cours d’évaluation, et plusieurs études testent l’association de la kétamine avec les électrochocs et leurs interactions avec les antidépresseurs conventionnels.  Résultats prometteurs du pramipexole Les molécules dopaminergiques, dont le pramipexole, sont une autre voie thérapeutique. Cet agoniste des récepteurs dopaminergiques D3, qui a une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans la maladie de Parkinson et le syndrome des jambes sans repos, a été étudié dans la dépression résistante (uni ou bipolaire) avec des résultats prometteurs. La  stimulation du nerf vague utilisée dans le traitement de l’épilepsie (50000 patients traités) constitue un autre traitement possible de la dépression résistante. Le dispositif implantable comporte une batterie reliée à une électrode cervicale implantée au contact du nerf vague gauche. La stimulation est  intermittente (30 secondes, suivie d’un repos de 5 minutes). Le mécanisme d’action ferait appel à la stimulation des neurones mono-aminergiques (sérotoninergique et noradrénergique) et probablement à un effet anti-inflammatoire intéressant lorsque l’on sait le rôle imputé à l’inflammation dans les dépressions résistantes. Les études suggèrent une efficacité de ce traitement dans la dépression résistante avec approximativement un tiers de sujets répondeurs. "Le bénéfice clinique est cumulatif à long terme et il faut de 1 à 2 ans de traitement  pour vraiment l’observer, mais les durées de rémission sont longues et plus stables qu’avec les antidépresseurs", note le Dr Philippe Domenech (Créteil, 94).  Des effets indésirables locaux (altération du timbre de voix lors de la phase de stimulation chez 20% des patients et/ou  une sensation de douleur et toux) peuvent être observés.

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