Intelligence artificielle : à quoi doivent s’attendre les médecins

07/04/2018 Par Marielle Ammouche
E-santé

Le rapport Villani a mis sur le devant de la scène les possibilités immenses que peut apporter l’intelligence artificielle en matière de santé et de médecine. Il souligne aussi les transformations majeures auxquelles patients, professionnels de santé et pouvoirs publics devront s’adapter.

Dans le rapport Villani sur l’intelligence artificielle (IA), la santé constitue, avec l’environnement, les transports-mobilités, et la défense-sécurité, l’un des 4 secteurs prioritaires sur lesquels les auteurs recommandent de concentrer les efforts de développement, avec une logique de mettre en place des applications et des usages "qui contribuent à améliorer notre performance économique ainsi que le bien commun" souligne le rapport. Il s’agit en particulier d’améliorer la détection précoce des pathologies, la médecine des 4P (médecine personnalisée, préventive, prédictive, participative), la disparition des déserts médicaux, ... "Ces enjeux et défis affichés de politique industrielle […] dépassent le sujet de l’IA, mais pourraient contribuer à donner un terrain favorable à son développement", ajoute Cédric Villani.   Le Deep patient   La masse de données manipulées dans le secteur médical ouvre des perspectives innombrables pour l’intelligence artificielle, dans l’objectif d’améliorer la santé du patient, à tous les niveaux de la prise en charge. Elle pourrait ainsi permettre de prédire l’apparition d’une maladie, mieux détecter les symptômes, faire un suivi prédictif de la pathologie, exploiter les résultats d’analyse (imagerie médicale…), formuler des propositions thérapeutiques personnalisées, et participer à la détection des effets secondaires des traitements. Le patient se retrouve au centre d’une masse d’informations qui permet de retracer une image extrêmement précise de son état. C’est la notion de Deep patient. "De plus en plus, le recueil des symptômes ne se fait plus seulement lors de la consultation du patient avec son médecin, mais à travers un ensemble de capteurs intégrés à l’individu (objets de quantified self, apps de santé sur le smartphone, véritable "laboratoire d’analyses médicales distribuées") ou à son environnement (objets de mesure de la pollution, du stress sonore) qui permettent d’agréger une grande quantité de données puis de les analyser de manière automatisée" explique l’auteur du texte, Cédric Villani. Ces éléments devraient permettre de prédire l’apparition et l’évolution d’une maladie, mais aussi d’adapter la prise en charge par le réseau de soin. C’est l’ère des diagnostics extrêmement précoces qui se profile, avec la recherche de pré-symptôme ou de prédisposition à une maladie. Pour développer ce chantier, le rapport Villani recommande d’ "accompagner le Dossier Médical Partagé (DMP) de production d’informations et de données de santé utilisables à des fins d’IA pour améliorer les soins et leur coordination, mais également participer à des projets de recherche et d’innovation d’IA en santé". Le DMP serait élargi "comme un espace sécurisé où les individus pourraient stocker leurs données, d’en ajouter d’autres eux-mêmes, d’autoriser leur partage à d’autres acteurs (médecins, chercheurs, membres de l’entourage, etc.) et de les récupérer pour en créer d’autres usages". Un travail de codification et de normalisation des informations pertinentes du patient, sera nécessaire ainsi qu’une sensibilisation des patients à la maîtrise de leurs données.   Une réorganisation des pratiques médicales   L’impact de l’IA sur les professionnels de santé sera majeur : aide au diagnostic, appui à la construction d’une thérapie, suivi évolutif du patient… "S’il n’est pas question de remplacer les médecins par la machine, l’enjeu est bien d’organiser des interactions vertueuses entre l’expertise humaine et les apports de l’IA dans l’exercice quotidien de la médecine" précise le rapport Villani. Sur ce sujet, une mission complémentaire de celle de Cédric Villani a été confiée à France Stratégie par Muriel Pénicaud, ministre du Travail, et Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État chargé du numérique. Ses conclusions viennent aussi d’être publiées dans un rapport, le 29 mars. Elles confirment la possibilité de "transformations majeures" liées à l’IA. Les professionnels de l’imagerie médicale seront particulièrement concernés. Avec la lecture d’image automatisée, "les radiologues pourraient se concentrer sur l’interprétation des pathologies complexes et/ou s'orienter vers la radiologie interventionnelle" affirme France Stratégie. Le diagnostic de premier niveau pourrait être réalisé par des manipulateurs radio une fois formés. En cardiologie, l’interprétation des électrocardiogrammes (ECG) pourrait être assurée par des logiciels. Et on pourrait aussi assister à une surspécialisation des métiers en cardiologie. Les médecins généralistes utiliseront des logiciels d’aide à la décision afin d'actualiser leurs connaissances. Des outils de ce type existent déjà, comme le logiciel d’aide à la prescription Watson Healthcare développé par IBM. Le suivi des patients sera aussi facilité par l’utilisation des objets connectés à base d’IA. Des assistants médicaux ou des infirmiers pourraient effectuer des diagnostics de premier niveau, et participer à la surveillance de cas simples. Les plateformes de prise en charge à distance « favoriseront […] la mise en réseau des acteurs qui interviennent dans le parcours de prise en charge des patients (médecins, infirmiers, urgentistes, personnels en charge de la coordination dans les structures de soins…)" ajoutent le rapport de France Stratégie. Enfin, en chirurgie, l’intelligence artificielle couplée à la robotique améliorera la précision des actes et aidera les chirurgiens dans leur préparation. Pour Cédric Villani, la dermatologie pourrait aussi être fortement impactée liée à l’analyse des images permettant diagnostic et suivi. Dans ce contexte, il fait plusieurs propositions de transformation des études de médecine. Il s’agit en particulier de "diversifier les profils [des étudiants] et d’intégrer davantage d’étudiants spécialisés dans le domaine de l’informatique et de l’IA (création de double cursus, reconnaissance d’équivalence)". Le rapport précise que cela devrait permettre aussi de "mettre un terme à la logique de compétition tout au long du cursus universitaire qui s’avère contre-productive pour développer une coordination transdisciplinaire et structure les postures d’autorité médecins". Les auteurs recommandent aussi de former les professionnels de santé aux usages de l’intelligence artificielle, de l’internet des objets (IOT) et du big data en santé.   Un intérêt pour la recherche   Dans le domaine de la recherche, « les technologies d’IA facilitent l’exploration des publications scientifiques et l’analyse des résultats de recherches fondamentales grâce à la fouille automatique de données » affirme le rapport. "Les avancées de l’IA en santé dépendent de nos capacités à croiser des quantités massives de données pour mettre en évidence des corrélations". C’est ainsi, qu’a récemment été découvert le lien entre consommation excessive d’alcool et risque de démences, grâce à l’analyse des données exhaustives des hospitalisations entre France entre 2008 et 2013 (The Lancet Public Health, février 2018).   Un atout pour améliorer les politiques de santé   L’intelligence artificielle peut permettre d’affiner les politiques de prévention sanitaire prédictives, qui seront plus ciblées et mieux individualisées. Le rapport cite, dans ce domaine, l’exemple de l’Agence de santé publique du Canada (Aspc) qui s’est associée à Advanced Symbolics une startup spécialisée en IA, pour anticiper les risques suicidaires à travers l’analyse automatique des médias sociaux. Facebook a annoncé, en novembre 2017, la création d’un outil similaire sur son propre réseau. L’IA peut également participer à la gestion et l’anticipation des demandes de soin sur le territoire, par exemple pour les situations d’affluence aux urgences, la gestion des flux hospitaliers. En cas de crise sanitaire, l’IA peut permettre de modéliser plus finement la propagation d’une pathologie et faciliter la coordination des équipes de soin sur place. "En somme, l’intelligence artificielle peut renforcer l’efficience de notre système de santé à travers une analyse prédictive de la demande de soi, la construction d’outils de pilotage économique et médical plus fins et plus réactifs" résume le texte.   Adapter le système national des données de santé   La France a été pionnière en matière de données de santé avec la mise en place, il y a 20 ans, d’une base nationale de données médico-administratives (Système national d'information inter-régimes de l'Assurance maladie ou Sniiram) qui centralise les descriptions des parcours des soins liés au remboursement. Cette base, qui couvre 99 % de la population française, s’articule avec la base de données du Programme de médicalisation des systèmes d’information (Pmsi) et les causes médicales de décès. Elle est unique au monde. "La France doit à nouveau faire figure de pionnière en investissant massivement dans les capacités de recherche et d’innovation en matière d’IA appliquée à la santé" affirme Cédric Villani dans son rapport. Ainsi, pour s’adapter à l’IA, les auteurs souhaitent "créer une plateforme d’accès et de mutualisation des données pertinentes pour la recherche et l’innovation en santé (regroupant dans un premier temps les données médico-administratives, puis les données génomiques, cliniques, hospitalières…), ayant vocation à se substituer à terme au socle du Snds". Enfin, une régulation de l’innovation en santé apparait fondamentale. Les auteurs du rapport proposent ainsi "d’expérimenter de nouvelles procédures de qualification et certification des algorithmes ayant vocation à être utilisés dans un contexte médical » et «de transformer le cadre de réflexion et de débat sur la bioéthique afin d’intégrer les enjeux liés à l’IA en santé et de développer des modes de consultation citoyens plus réguliers et adaptés aux rythmes de l’innovation".

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