Diminuer les transfusions sanguines pour améliorer la sécurité des patients et faire des économies

03/01/2019 Par Marielle Ammouche
Chirurgie

En France, le taux de transfusions per et postopératoires s’élèverait à 40%. A l’échelon international on considère que près de 60% des prescriptions de concentrés globulaires seraient inappropriées. Or, les conséquences de cette pratique sont majeures, tant au regard des risques qu’elle entraine pour le patient, que d’un point de vue économique. C’est pourquoi es experts ont décidé de mettre en place en France un programme international de rationalisation des transfusions sanguines nommé "Patient Blood Management", ou "gestion personnalisée du capital sanguin".

  Les transfusions sanguines ont un rôle majeur, et sauvent de nombreuses vies en particulier dans le contexte chirurgical, pour lutter contre une anémie péri-opératoire ou une hémorragie. Mais les produits sanguins ne sont pas des médicaments comme les autres. Ils exposent le patient à des risques particuliers. Si les conséquences négatives d’une anémie préopératoire, liées en général à une carence martiale, sont actuellement bien établies (augmentation de l’incidence des complications opératoires, des durées moyennes de séjour et des coûts d’hospitalisations), la transfusion de concentrés globulaires, utilisée en première intention actuellement dans cette situation, est loin d’être anodine et s’associerait à des risques. Ainsi, les données de la littérature ont mis en évidence une corrélation forte et indépendante entre transfusion périopératoire et accroissement des infections, septicémies, accidents ischémiques (AVC, infarctus, insuffisance rénale), maladie thrombo-embolique veineuse, syndrome de défaillance multiviscérale, syndrome de détresse respiratoire aiguë…. Tous les types de chirurgie étant concernés. En outre, ce sont des produits rares, précieux, chers, et exposés facilement à des pénuries. Le vieillissement en est un facteur majeur. En effet, les personnes âgées sont celles qui ont le plus de besoins transfusionnels, mais qui, en même temps, ne peuvent plus être donneurs. Jouent aussi les progrès médicaux. Au final, les besoins de concentrés globulaires ne cessent de croitre. Un autre facteur de pénurie est la proportion très importante de transfusions inadaptées. En 2011, un groupe international d’experts a estimé que seules 12% des décisions de transfusions étaient pertinentes (c’est-à-dire susceptibles d’améliorer l’état clinique du patient) ; alors qu’elles étaient jugées incertaines dans 29 % des situations analysées et probablement inappropriées dans 59 %. Force est de constater que les pratiques en la matière sont très variables, non seulement d’un pays à l’autre, mais aussi entre les établissements, et même entre praticiens exerçant au sein d’un même établissement. Ainsi, en 2010, le taux d’utilisation de concentrés de globules rouges variait en Europe entre 20 et 60 pour 1000 habitants. Il apparait donc nécessaire, sur le plan sanitaire mais aussi socio-économique, de rationnaliser cette pratique en limitant le recours à la transfusion lorsqu’elle est évitable tout en garantissant aux patients de chirurgie une qualité et une sécurité des soins optimale. C’est tout l’objectif du concept de "Patient Blood Management" (PBM), que l’on peut traduire par "gestion personnalisée du capital sanguin", une démarche proactive d’amélioration de la qualité et de la pertinence des soins, recommandée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les agences de régulation sanitaire de nombreux pays, les sociétés savantes internationales concernées par le domaine et par la commission européenne. Il s’agit d’améliorer la qualité des soins du patient en termes de morbi-mortalité, tout en générant des économies par la diminution des achats de produits sanguins. Un comité d’experts représentatif de sept sociétés savantes* s’est penché sur le sujet pour mieux appréhender cette démarche de gestion personnalisée du capital sanguin et identifier les solutions à mettre en place pour accompagner son implémentation en France. Leurs préconisations ont été rassemblées dans un livre blanc, qui a été publié à l’occasion de la journée "Gestion personnalisée du capital sanguin en péri-opératoire" organisée le 13 décembre à l’Académie de Médecine sous le Patronage de Madame Agnès Buzyn, Ministre des Solidarités et de la Santé.   Eviter au maximum le recours à la transfusion "Ce concept de PBM place le patient, et non les paramètres biologiques et les produits sanguins, au centre du processus de décision dans une démarche de prévention primaire des risques liés à l’anémie, au saignement et à la transfusion", expliquent les experts. Il s’agit d’une stratégie intégrée, multimodale et multidisciplinaire, voire pluriprofessionnelle, méthodique et proactive, fondée sur des concepts scientifiquement validés. La rationalisation de la transfusion sanguine passe tout d’abord par la nécessité d’améliorer la prise en charge des patients devant subir une intervention à risque comme une chirurgie cardiaque, orthopédique, abdominale, urologique, etc. ; et en particulier, de considérer la transfusion comme un "recours ultime et non plus comme le traitement privilégié par défaut", considèrent les experts. Le PBM s’articule autour de trois axes principaux : l’optimisation des réserves de sang du patient, la minimisation des pertes sanguines, et l’optimisation de la tolérance du patient à l’anémie. Il a des conséquences multiples: une diminution des taux de morbidité postopératoire (infections, insuffisance rénale, pneumopathies, infarctus du myocarde/AVC), voire de mortalité peropératoire ou hospitalière. Les méthodes alternatives à la transfusion sont développées : les prescriptions d’agents stimulant l’érythropoïèse sont augmentées, ainsi que la proportion de patients non anémiés opérés, et la récupération de sang autologue. Par ailleurs, on constate une diminution des seuils transfusionnels, des pertes sanguines peropératoires, du taux de transfusions massives, de la proportion de patients transfusés, du nombre de concentrés de globules rouges ou d’unités de produits sanguins labiles transfusés par patient, et de la proportion de patients sortant de l’hôpital avec une anémie modérée à sévère.   Une stratégie qui a déjà fait ses preuves La stratégie PBM a déjà été testée dans de nombreux pays. Et avec des résultats concrets. Ainsi, par exemple, en Australie, son déploiement a permis de générer une diminution de 41 % du nombre d’unités de produits sanguins labiles transfusés par admission, ce qui a représenté une économie de 18 millions de dollars US en coûts directs, et de 78 à 97 millions en coûts indirects. Sur le plan sanitaire, a été observée une diminution de 28% du risque relatif de mortalité hospitalière, de 15% de la durée moyenne de séjour, et de 21% du risque d’infection postopératoire. A noter cependant, une augmentation, significative mais limitée, du taux de réadmissions urgentes non programmées (+6%).   Le retard français En France, peu de données sont disponibles. Les résultats d’un modèle d’impact budgétaire réalisé avec des données françaises, estime le gain à près de 200 millions d’euros pour l’assurance maladie, porté principalement par la baisse de la durée moyenne de séjour et la diminution du nombre de patients transfusés. Mais, notre pays accuse actuellement un retard important à la mise en place de cette démarche, comme en témoigne par exemple la stagnation des taux standardisés de transfusion à l’échelle nationale (36,6 concentrés de globules rouges pour 1000 habitants en 2010 et 36,2 pour 1000 en 2015). L’évaluation du patient anémié ne semble pas optimale : elle est en effet réalisée très peu de temps (2 jours) avant la chirurgie. Et le recours à la transfusion est trop systématique, avec un taux moyen de 40% en per et post-opératoire, et décidé souvent sans exploration complémentaire spécifique. "Il apparait donc nécessaire et urgent que les expériences de déploiement se multiplient et que les équipes rapportent leurs résultats, les facteurs-clés de succès et les obstacles rencontrés. Le développement ultérieur ou parallèle d’un véritable programme national de PBM - guidé par des recommandations dédiées - devrait assurer aux patients concernés une prise en charge conforme à l’état de l’art", soulignent les experts.   *Sociétés savantes représentées : Sfar (Société Française d’Anesthésie et de Réanimation), la Sofcot (Société Française de Chirurgie Orthopédique et Traumatologique), la Sfbc (Société Française de Biologie Clinique), la Sfctcv (Société française de Chirurgie Thoracique et cardio-vasculaire), la Sfvtt (Société Française de Vigilance et de Thérapeutique Transfusionnelle), Grace (Groupe francophone de Réhabilitation Améliorée après Chirurgie) et le Gfht (Groupe Français d’études sur l’Hémostase et la Thrombose).

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