En 2022, deux publications ont marqué le champ du traitement pharmacologique de la dépression : une importante méta-analyse a questionné l'efficacité des antidépresseurs sérotoninergiques et remis en question la théorie sérotoninergique de la maladie. Parallèlement, une autre a compilé les données individuelles de tous les antidépresseurs autorisés par l’agence américaine du médicament (FDA), et a montré que 15% des patients sont de super-répondeurs, les autres se répartissant entre répondeurs partiels et non-répondeurs. « Cette hétérogénéité invite à développer une approche thérapeutique plus personnalisée », a insisté le Pr Antoine Yrondi (CHU de Toulouse). La question est déjà incluse dans les recommandations de prise en charge. Celles de l’Association Française de Psychiatrie Biologique et de Neuropsychopharmacologie (AFPBN), en 2017, proposaient d’identifier le phénotype clinique avant de traiter: IRSNA en cas de composante anxieuse, IMAO en cas de composante atypique, tricycliques en cas de mélancolie... Mais au-delà de ces grandes lignes directrices, difficile de hiérarchiser les différents traitements pharmacologiques. Et si les recommandations doivent constituer le socle sur lequel étayer son choix, ce dernier doit être adapté aux facteurs propres au patient (comorbidités, facteurs culturels...). Une actualisation des recommandations à venir
Aussi, l’épisode dépressif doit être caractérisé aussi précisément que possible : date de début, premier épisode ou rechute, sévérité, histoire thymique antérieure, association à d’autres manifestations psychiatriques ou maladies somatiques... « Avant de prescrire un antidépresseur de première ligne et de choisir une psychothérapie, on doit s'appuyer sur des échelles psychométriques, on n’y va pas au doigt mouillé », a martelé la Pre Bénédicte Gohier (CHU d’Angers). Car seules ces dernières permettront d’objectiver la cinétique de réponse et d’évaluer si la rémission est complète, partielle ou si la dépression est résistante. L’AFPBN a finalisé la réactualisation de ses recommandations (à paraître), qui s’attardent notamment sur la caractérisation de la réponse à un premier antidépresseur bien conduit : la réponse correspond à une amélioration de 50 % du score sur l’échelle de dépression utilisée (souvent HRSD ou MADRS). En-dessous de 25 %, on parle de non-réponse. Une amélioration intermédiaire caractérise une réponse partielle. La dépression résistante correspond donc à une amélioration de moins de 25% à deux antidépresseurs ayant des mécanismes d'action différents et bien conduits. Résistance ou pseudorésistance ?
En pratique clinique, 70% des dépressions n’atteignent pas la rémission après deux lignes de traitement. Sont-elles résistantes ou pseudorésistantes? « Si le patient a été observant, il faut d’abord douter du diagnostic avant de se lancer dans des modifications de traitements », a poursuivi la psychiatre. Il faut réinterroger le tableau clinique : le patient a-t-il omis des antécédents pouvant évoquer un trouble bipolaire ? Le début de l’épisode ne serait-il pas plus ancien ? Il faut aussi rechercher des facteurs de risque de résistance : addictions (tabac, alcool, cannabis), capacités d'ajustement (antécédent de stress ou de traumatismes invitant à des psychothérapies spécifiques), médicaments (interférons, corticoïdes, antipsychotiques de première génération...). « Les scores permettent aussi de repérer de petites améliorations psychométriques encourageantes pour les patients ». Ces derniers sont plus compliants lorsqu’ils ont confiance dans leurs prescripteurs, et sont satisfaits de leurs qualités de communication.. et d'empathie, alors qu’ils le sont moins lorsqu’ils sont âgés, ont une addiction, sont stigmatisés ou en manque de support social. « La patience et le soutien du médecin sont déterminants. Il ne faut jamais lâcher, jusqu’à trouver le bon traitement », a-t-elle conclu. La pseudorésistance doit aussi être recherchées sur le plan psychique : la stigmatisation de la dépression par la société civile peut engendrer du découragement, de la honte et de la culpabilité chez le patient, qui pense manquer de courage, de volonté ou être responsable de sa dépression. Les patients doivent donc être informés et formés : « Il faut leur expliquer comment fonctionne le cerveau, que la dépression est une maladie biologique, comment fonctionnent les antidépresseurs », a suggéré le Pr Serge Beaulieu (Canada). Il est intéressant de noter que ceux qui adhèrent à l'explication neurobiologique répondent bien aux traitements antidépresseurs et rechutent plus facilement sous thérapie cognitive comportementale, alors que l’inverse est observé chez ceux qui ne veulent pas d’antidépresseurs. La psychoéducation, en groupe avec les pairs est aussi très importante. Quant au médecin, il ne faut pas négliger sa perception de la maladie car « ne pas consulter soi-même pour une dépression, penser que la dépression est normale chez les sujets âgés (et donc ne pas la traiter), ne pas considérer les recommandations cliniques » sont autant d’éléments défavorables. Introduction de l’eskétamine et de la kétamine
Les recommandations à venir de l’AFPBN distingueront le traitement selon la ligne et le nombre d’épisodes antérieurs : en cas de réponse partielle au traitement d'un premier épisode, elles suggèrent de passer d’un ISRS à un IRSNa ou inversement, de prescrire un ANaSS (miansérine, mirtazapine) ou une association de deux antidépresseurs (ISRS ou IRSNa-ANaSS ou imipraminique-ANaSS). En cas d’épisodes multiples, la stratégie est comparable, mais peut aussi se fonder sur l’adjonction d’un second traitement (lithium, quétiamine, eskétamine, aripiprazole, pramipexole, neuromodulation, sismothérapie). En cas de dépression résistante lors d’un premier épisode, la stratégie est schématiquement
comparable à l’attitude en cas de réponse partielle. Mais lorsqu’elle fait suite à des épisodes multiples, les alternatives suggérées en cas de premier épisode sont complétées par les IMAO ou le bupropion. Enfin, le texte positionne l’eskétamine et la kétamine dans la stratégie thérapeutique, la première ayant une balance bénéfice-risque supérieure. Toutes deux sont indiquées dans la dépression résistante, modérées à sévères, plutôt récurrentes, avec idéation suicidaire ou avec tentative de suicide récente. Le schéma de délivrance repose sur une phase d'induction (2 fois/sem pendant 4 semaines), puis de maintien (souvent 1/semaine), avec une administration sous surveillance et une durée d'utilisation de 6 mois en cas de réponse satisfaisante, après arrêt progressif. Les autres articles du congrès :
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