En dermatologie, les médicaments ont souvent d’autres indications que celles de l’autorisation de mise sur le marché (AMM), et les recommandations des agences de santé ne couvrent pas tous les domaines pathologiques. Par ailleurs, les dermatologues se heurtent à des ruptures de stocks de médicaments nécessitant de valider des choix alternatifs. « Pour répondre à ces problématiques, la Société française de dermatologie (SFD) a initié en avril 2015 la création d’un centre de preuves en dermatologie après signature d’une convention avec la Haute Autorité de santé (HAS) », explique le Pr Olivier Chosidow (hôpital Henri-Mondor, Créteil, 94), qui le préside*. « Les missions de cette structure, qui a le statut d’association loi 1901, sont de répondre aux questions des autorités de santé, d’analyser la littérature médicale pour émettre des avis d’experts sur des thèmes comme la place de l’acétate de cyprotérone dans l’alopécie féminine et les risques de méningiome associés à sa prise, les effets du finastéride, la possibilité de prescrire la thalidomide dans certains érythèmes polymorphes récidivants. » Le centre de preuves a également contribué à la mise en place d’un programme hospitalier de recherche clinique (PHRC), dont l’objectif est de déterminer si la doxycycline peut remplacer pour le traitement de la syphilis primaire Extencilline, qui a subi des problèmes de rupture d’approvisionnement. Le centre de preuves propose aussi « des stratégies thérapeutiques sous la forme d’algorithmes décisionnels, comme cela a été fait pour l’acné, ou de recommandations comme celle proposée en 2019 sur la prise en charge des infections cutanées bactériennes courantes en partenariat avec la Société de pathologie infectieuse de langue française (Spilf) ». Deux autres recommandations viennent d’être élaborées pour la prise en charge de l’hidradénite suppurée** et l’urticaire chronique spontanée. Un algorithme thérapeutique pour l’hidradénite suppurée Les recommandations de prise en charge de l’hidradénite suppurée, élaborées par le groupe de travail du centre de preuves en dermatologie présidé par le Dr Jean-François Seï (Saint-Germain-en-Laye, 78), répondaient à un besoin. « Cette affection n’avait en effet donné lieu jusqu’ici à aucune recommandation française, et celles existantes listaient les thérapeutiques disponibles sans hiérarchisation », souligne ce dermatologue. Le texte vise tout d’abord à faire connaître cette maladie cutanée inflammatoire chronique du follicule pileux, dont la prévalence est estimée à 0,7 % au sein de la population européenne. « Trois fois plus fréquente chez les femmes que chez les hommes, elle se caractérise par l’apparition, préférentiellement au sein de la région axillaire, périnéale et des grands plis (sous-mammaires…), de nodules inflammatoires et d’abcès douloureux évoluant vers la suppuration, la fistulisation et la constitution de lésions fibreuses cicatricielles », explique le Dr Seï. Cette maladie débute en général vers 20-30 ans (mais il existe de rares formes pédiatriques) et évolue sur un fond continu ou par poussées douloureuses, plus ou moins suppuratives, vers la chronicité (plus de 6 mois). « La maladie étant mal connue, le délai diagnostique est très élevé, huit ans en moyenne, avec une errance médicale très pénible pour les patients. Les comédons sont particuliers et diffèrent de ceux de l’acné, car ils sont à plusieurs têtes, un argument diagnostique dans les formes précoces », précise ce dermatologue. « Souvent, les malades souffrent en silence, les lésions touchant des zones intimes. » Il faut analyser l’impact des symptômes et lésions (douleurs, écoulements purulents) sur la qualité de vie, qui peut être considérablement altérée, ainsi que le retentissement émotionnel, anxiété et dépression étant fréquentes. On recherchera aussi un tabagisme ou une obésité qui peuvent être associés. « Mais on ne dispose pas de preuve attestant que l’arrêt du tabac ou la réduction pondérale modifie l’évolution. » Une maladie folliculaire cutanée (au niveau du cuir chevelu…) ou des affections auto-inflammatoires comme une maladie de Crohn, des spondyloarthropathies peuvent également accompagner une hidradénite suppurée. La gravité de l’affection est très variable, avec des formes minimes correspondant au stade I du score de Hurley : abcès unique ou multiples sans fistules ni processus cicatriciel fibreux. Et d’autres plus sévères : stade II, avec abcès récidivants avec formation de fistules et de cicatrices hypertrophiques ; et stade III, très invalidant avec atteinte diffuse ou fistules interconnectées. « La physiopathogénie de la maladie étant très mal comprise, aucun schéma thérapeutique n’est encore parfaitement validé, et on ne sait pas guérir l’hidradénite suppurée, admet le Dr Seï, mais les recherches pourraient dans l’avenir ouvrir des voies thérapeutiques », espère-t-il. En pratique, le centre de preuves propose un algorithme thérapeutique à six entrées qui prend en compte le grade de Hurley, le nombre de poussées annuelles, et les phénotypes de la maladie : formes folliculaires ou associées à une maladie inflammatoire. Dans les hidradénites suppurées de grade I avec moins de quatre poussées par an, on proposera un traitement antibiotique de sept jours au moment des poussées (amoxicilline-acide clavulanique ou pristinamycine), auquel on ajoutera au-delà de quatre poussées annuelles un traitement prophylactique (à réévaluer après 6 mois) par cycline ou éventuellement cotrimoxazole. Un geste d’incision-drainage à visée antalgique pourra être proposé au moment des poussées. « Des ordonnances anticipées seront remises aux patients pour leur permettre de gérer précocement les poussées », insiste le Dr Seï. En cas de récidive sur la même localisation, on pourra pratiquer un geste d’exérèse limitée. Le même schéma thérapeutique sera adopté dans les hidradénites suppurées de grade II. Mais en cas d’échec, les patients, comme ceux avec une hidradénite suppurée de grade III, devront bénéficier d’une prise en charge spécialisée pluridisciplinaire. Les traitements séquentiels pourront associer cure antibiotique pour « refroidir » les lésions, exérèse chirurgicale, et biothérapie de type anti-TNF. Les formes associées à une maladie inflammatoire bénéficieront d’un traitement prophylactique par adalimumab ou infliximab, tandis qu’on utilisera les rétinoïdes en cas d’échec du traitement de première intention dans les formes folliculaires, puis éventuellement là aussi les anti-TNF. Des propositions pour l’urticaire chronique spontanée Le centre de preuves de la SFD devrait aussi rendre prochainement publiques des recommandations pour la prise en charge de l’urticaire chronique spontanée, « les dernières recommandations françaises datant de 2003 », justifie le Pr Annabel Maruani (CHU de Tours), présidente du groupe de travail de huit membres à l’origine du texte. Une analyse de la littérature a, dans ce but, été effectuée, puis neuf experts français de la maladie ont été interrogés. Par définition, ces urticaires chroniques spontanées évoluent, depuis au moins six semaines, et ne sont pas provoquées par un stimulus (tel que l’effort, la pression, le froid, le rayonnement...). Leur durée est en moyenne d’un à quatre ans, que le traitement soit poursuivi ou non, mais certaines personnes ont encore des symptômes après dix ans d’évolution. Leur incidence pourrait être de 1,9 % personnes-années. Les recommandations françaises soulignent l’importance du traitement de première intention par antihistaminiques H1, dont la dose pourra passer si besoin d’un à quatre comprimés par jour, et rappellent que les corticoïdes ne doivent pas être utilisés. On préférera les anti-H1 de deuxième génération, moins sédatifs. L’intérêt d’ajouter un anti-H2 n’est pas démontré, mais certains experts français prescrivent ces médicaments en cas de symptomatologie digestive associée ou de terrain atopique. En cas d’échec des anti-H1 à quadruple dose, si l’urticaire est invalidante et en l’absence de contre-indication, la ciclosporine pourra être administrée bien que ce médicament n’ait pas d’AMM dans cette indication. Cependant, la plupart des experts français privilégient dans ces circonstances un traitement par omalizumab, un anticorps anti-IgE, qui dispose, lui, d’une AMM dans l’urticaire chronique. « Il est en fait difficile de trancher entre les deux médicaments, car on ne dispose pas de données d’étude comparative », regrette le Pr Maruani. Les données de la littérature ne permettent pas de recommander la photothérapie ou l’utilisation de méthotrexate, ou d’autres médicaments comme la vitamine D. Aucun régime d’éviction alimentaire systématique ne doit être suivi. * https://www.sfdermato.org/site/centre-de-preuves-en-dermatologie.html ** https://reco.sfdermato.org/fr/recommandations-hidradénite-suppurée
La sélection de la rédaction
Limiter la durée de remplacement peut-il favoriser l'installation des médecins ?
François Pl
Non
Toute "tracasserie administrative" ajoutée ne fera que dissuader de s'installer dans les zones peu desservies (et moins rentables)... Lire plus